Faubourg Saint-Roch

publique.
    —Je désire quelque chose de ce genre, c'est-à-dire un livre touchant à la fois la lecture, l'écriture, le calcul, les leçons de choses... Mais celui-là me paraît un peu... austère.
    Pour des enfants, il me semble que quelques illustrations rendraient les choses plus faciles.
    —J'ai des livres publiés en France, avec des dessins à toutes les pages. Mais en plus de faire sourciller les prêtres, ils sont plus chers.
    —    Tant pis, je me ruinerai pour les acheter, répondit-elle avec une petite moue charmante.
    Finalement, se faire manger des yeux ne lui apparaissait pas si désagréable. Après une nouvelle recherche dans les longs rayonnages, le commis lui présenta un ouvrage en deux tomes intitulé Mon premier livre. Pendant quelques secondes, Elisabeth parcourut les deux bouquins, puis commenta :
    —    Ils sont parfaits, sauf le titre. Mes deux premiers livres conviendrait mieux.
    L'humour échappa totalement à l'employé, qui demanda simplement :
    —    Autre chose ?
    —J'aimerais avoir un ou deux livres de contes. Ce jeune homme sera totalement dégoûté de la lecture si je continue à lui proposer la comtesse de Ségur.
    Edouard exprima son assentiment par un grand sourire. Bientôt, deux recueils de contes, l'un présentant une version édulcorée des travaux de Charles Perrault, l'autre de ceux des frères Grimm, se matérialisèrent sous ses yeux. Les traditions françaises et allemandes devraient satisfaire les attentes de deux enfants de Québec.
    —    Et... ? interrogea le vendeur en levant les sourcils.
    —    Un petit livre de bienséance, afin que tous les trois nous sachions désormais nous tenir à table, et ajoutez quelques cahiers d'écriture. Avec cela, ce sera tout.
    Malgré le sourire, elle était tout à fait sincère : moins de deux jours dans une maison bourgeoise lui avaient suffi pour lui donner la mesure son incompétence. Les bons usages appris chez les ursulines la laissaient un peu démunie devant une épouse grabataire et méfiante, un époux emprunté et une reine mère qui se serait qualifiée pour jouer la sorcière de Hansel et Gretel.
    Un instant plus tard, elle tirait de la poche de sa veste un billet de deux dollars, encaissa la monnaie et reçut ses achats dans un sac de papier. Au moment de revenir sur le trottoir, Edouard demanda :
    —    Nous pouvons aller jusqu'au marché que nous avons vu là-bas ? Il y avait des animaux.
    Le garçon parlait du marché Montcalm, à proximité duquel ils étaient passés tout de suite après avoir changé de tramway.
    —    C'est un peu loin, et tu as de petites jambes.
    —    Non, je suis grand.
    Elisabeth échangea un regard avec Eugénie, qui levait les yeux au ciel pour signifier combien la prétention de son frère d'être grand lui paraissait ridicule.
    —    D'accord, mais si tu es fatigué tu m'avertiras, et nous prendrons le tramway. Tiens bien ma main.
    Comme la jeune femme devait aussi porter le sac contenant les livres, Eugénie se trouva en liberté surveillée, en quelque sorte: elle marchait devant les deux autres. Au moment de traverser la rue en diagonale, Elisabeth demanda :
    —    Tu veux m'aider et prendre l'autre main de ton frère ?
    Elle obtempéra, le temps que le trio arrive devant la
    vitrine de chez Simon's. La fillette se perdit un moment dans la contemplation de la mode de la saison prochaine, puis reprit son chemin. Régulièrement, les devantures des commerces retenaient son attention, tellement qu'Edouard risquait de se lasser d'attendre.
Au moment de passer devant l'atelier du photograph
Elle jeta un regard à la mine renfrognée de sa com
— Non, c'est votre femme. Elle est venue frapper à
Le vicaire se leva pour se diriger vers la porte.
— Et monsieur Gros jean ?
— Ce Picard, c'est ton patron, n'est-ce pas ?
Après avoir reconduit sa femme à son domicile, Alf

Au moment de passer devant l'atelier du photographe Livernois, Eugénie pointa du doigt la douzaine de portraits, offerts à la vente, du même homme, en questionnant:
    —    Qui est cet homme ?
    —    Wilfrid Laurier. Ce matin, Le Soleil annonçait que des élections auront lieu bientôt. Il dirige le Parti libéral. Il se présente dans le comté dont Saint-Roch fait partie.
    Exacte, la réponse eut l'heur d'être incompréhensible pour la petite fille, qui préféra abandonner le sujet. Le portrait de Wilfrid Laurier, une vedette charismatique, se trouvait sur le