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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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heures, à la suite d'un après-midi passé à enseigner l'alphabet à Eugénie et Edouard, elle commença par déclarer
    à la cuisinière :
    —    Plutôt que de placer le couvert de façon informelle, mieux vaudrait s'en tenir aux usages.
    —    Ah ça ! Tu veux jouer à la demoiselle, maintenant !
    Les joues de la grosse femme étaient habituellement rouges par l'effet combiné de la chaleur de ses fourneaux et de sa pression sanguine un peu haute. L'émotion les fit passer au cramoisi.
    —    Mais personne ne joue. Vous avez devant vous mademoiselle Eugénie et monsieur Edouard. Quant à moi, je suis mademoiselle Trudel.
    —    Ces enfants ne sont pas des étrangers... Je leur ai enseigné à parler.
    —    Cela s'entend. Désormais, je suis là pour voir à leur éducation. Cela comprend l'apprentissage des usages de la vie en société.
    Jusque-là, jamais dans la maison Picard on n'était passé aussi près d'assister à un assassinat perpétré avec des ustensiles de cuisine.
    —    Ça va, ça va... bougonna-t-elle après un moment. Est-ce que Môssieur Edouard et Madame Eugénie veulent prendre place à table ?
    Les deux enfants suivaient les échanges, conscients que se jouait devant leurs yeux une lutte de pouvoir entre la prêtresse des chaudrons et celle qui tenait à se faire reconnaître comme la gardienne des lettres et des bons usages.
    —    «Mademoiselle Eugénie» fera l'affaire, en attendant son mariage. Merci, Joséphine, vous pouvez servir, maintenant. Je me chargerai de placer le couvert comme il se doit. Vous savez où je peux trouver des serviettes de table ?
    —    ... Dans le tiroir du buffet, dans la salle à manger.
    Un moment plus tard, Elisabeth revenait avec trois pièces rectangulaires d'un beau tissu de lin. Elle les posa sur un coin de la table, commença par disposer soigneusement le couvert, puis un bol au milieu d'une grande assiette. Après s'être assise, elle tendit une serviette à Eugénie en disant :
    —    Regarde, tu dois la plier en trois, puis tu la poses sur tes genoux, comme cela, afin de protéger ta robe.
    La jeune femme répéta à la fois l'opération du pliage et les explications pour Edouard qui, contrairement à sa sœur, ne prêtait qu'une attention peu soutenue à cette petite leçon sur les manières de la table. Le grand chaudron où fumait la soupe exerçait sur lui une attirance irrésistible.
    —Joséphine, vous pouvez nous servir.
    Offrant une mine maussade, la cuisinière obtempéra néanmoins.
    —    Bon appétit, les enfants, dit la préceptrice en prenant sa cuillère.
    —    Bon appétit, répondirent-ils en chœur.
    Après trois cuillerées de soupe, Edouard prouva à Elisabeth que l'ustensile, dans son poing fermé, n'était pas assez stable pour garder la serviette sur ses genoux. Une généreuse goutte poisseuse atterrit sur sa veste de matelot.
    —    Dans une année ou deux, nous essaierons de nouveau. Mais pour le moment, je crois que mieux vaut garder nos vieilles habitudes, observa la jeune femme qui abdiquait et prit donc la serviette pour passer un coin du tissu dans le col de l'enfant.
    —    Quel bébé tu fais ! décréta Eugénie.
    Si la fillette arrivait à ne faire aucun dégât, c'était au prix d'un effort continuel. Elle se tenait bien droite, tout à fait séduite par ce nouveau jeu : mimer les grandes personnes. De sa voix la plus douce, Elisabeth commenta :
    —    A table, mieux vaut éviter toutes les paroles désagréables, y compris les commentaires sur l'âge des voisins. Cela permet de mieux digérer.
    Le garçon, quant à lui, répliqua en tirant la langue.
    —    Cela aussi est tout à fait déplacé, remarqua la jeune femme en tendant la main pour lui caresser doucement la joue. Il faut garder un climat très serein afin que tous apprécient le repas.
    «Non mais pour qui elle se prend, cette pimbêche, avec ses grands mots et ses grands airs», marmonna Joséphine à sa poêle à frire. Pourtant, déjà elle comprenait que son rôle auprès des enfants de la maison ne serait plus jamais le même.
    —    Serein, cela veut dire calme ? questionna Eugénie.
    —    Oui, à peu près. Un climat où tout le monde se sent bien.
    —    Quand grand-maman est là, ce n'est pas très serein.
    Élisabeth sourit à la fillette, pour lui signifier que cette
    analyse de la situation lui paraissait bien raisonnable, et précisa ensuite :
    —    Parfois,

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