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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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souvent son attention, mais le commérage ordinaire ne lui répugnait pas.
    —J'avais l'intention de marcher, précisa Picard. Il fait très beau, puis après une soirée à respirer la fumée de tous ces cigares...
    —    Tant pis, je vais user mes semelles aussi.
    La mauvaise habitude de tirer sur un cigare, ou sur une pipe, ne séduisait guère le marchand, même si les fumeurs trouvaient dans son magasin tous les articles pour satisfaire leur vice. Alors qu'ils descendaient l'avenue Dufferin, Laliberté risqua :
    —    Cette jeune fille semble avoir un réel talent avec les enfants.
    —    Pardon ? Ah ! Vous voulez dire la jeune Trudel. En effet, je suis même un peu surpris de sa performance. Je ne pensais pas que les ursulines les formaient si bien. Edouard est littéralement fou d'elle.
    Bien sûr, tôt ou tard quelqu'un devait lui parler de la jeune beauté qui vivait sous son toit. Avant d'en arriver là, Laliberté avait dû se livrer à bien des échanges à mi-voix soulignés par des sourires entendus avec des voisins ou des amis.
    —    Il a du goût, ce garnement. Elle semble si bien s'y entendre que cela donne des idées à ma femme.
    —    Que voulez-vous dire ?
    —    L'idée d'une préceptrice commence à faire son chemin dans quelques familles de la paroisse Saint-Roch. Cela fait terriblement chic.
    Cette remarque ne méritait aucune réponse. La compétition entre notables prenait plusieurs formes, de celui qui avait le plus bel attelage à celui qui embauchait la plus abondante domesticité.
    —    Bien sûr, la mienne devrait être borgne, bossue et frôler les cinquante ans, pour que ma femme la laisse entrer dans la maison, ajouta le marchand de fourrures en ricanant.
    Thomas Picard commença par serrer les dents, puis murmura d'un ton impatient:
    —    Si vous avez un moyen de redonner la santé à ma femme, cela me fera plaisir de vous payer les services de mademoiselle Trudel en échange. Alice saurait très bien s'occuper de ses propres enfants si elle le pouvait.
    Pendant un long moment, jusqu'à ce qu'ils s'engagent dans la Côte-d'Abraham, Jean-Baptiste Laliberté choisit de demeurer silencieux. Quand le commerçant ouvrit de nouveau la bouche, ce fut pour s'engager sur un terrain moins dangereux :
    —    Pensez-vous que nous aurons des élections provinciales bientôt?
    —    L'an prochain, sans aucun doute.
    —    Les libéraux auront des chances de l'emporter ?
    — D'excellentes chances.
    Les deux hommes parcoururent le reste du chemin jusqu'à la rue Saint-François en silence.
    Le 24 juin 1896 tombant un mercredi, la plupart des activités de la fête nationale devaient être remises au dimanche suivant, puisque aucun employeur ne songeait à donner congé ce jour-là. En l'absence d'un Etat, et même d'un drapeau - au point que les Canadiens français utilisaient le tricolore pour marquer leur distinction -, ceux-ci profitaient au moins d'une institution à la fois rassembleuse et omniprésente: l'Eglise catholique. Aussi dans Saint-Roch, la grande activité proposée pour satisfaire l'appétit national des ouailles était l'ordination de trois des fils de la paroisse.
    En conséquence, la grand-messe se drapa d'une majesté exceptionnelle, avec la présence de Sa Grandeur l'évêque coadjuteur du diocèse de Québec, monseigneur Louis-Nazaire Bégin. Le titulaire du siège épiscopal, monseigneur Taschereau, âgé et perclus, ne se déplaçait plus guère, même pour des cérémonies de cette envergure. Les fidèles ne perdaient pas vraiment au change, l'ecclésiastique présidait à l'office religieux de main de maître, parvenant à faire un amalgame réussi de la farouche résistance nationale et religieuse du petit peuple des rives du Saint-Laurent, sous la houlette de pasteurs sages et éclairés par Dieu. A l'entendre, dans cette épopée les politiciens s'étaient révélés au mieux inutiles, au pire, dangereux. Sans l'évoquer nommément, le vainqueur de l'élection du mardi précédent se trouvait remis à sa juste place.
    Du jubé où, comme d'habitude, elle retrouvait les membres de la chorale, Marie Buteau se sentait émue à plus d'un titre. D'abord, l'événement avait obligé la tenue de nombreuses répétitions qui lui avaient coûté la plupart de ses soirées depuis deux semaines. En quelque sorte, la cérémonie faisait office de première pour ces artistes de la voix, des ouvriers et des ouvrières endimanchés

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