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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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cohabitation dans un espace minuscule, avec une personne que le hasard avait mise sur sa route, ne changeait rien à son isolement? Au contraire, les mêmes paroles convenues répétées tous les soirs sur le même ton lassaient tout autant que la longue journée passée au magasin.
    —    Nous marchons un peu ? demanda-t-elle après un long silence.
    Ils avaient terminé le pâté et le thé, la file d'attente devant le comptoir du cantinier demeurait longue. Mieux valait permettre à d'autres de profiter d'une place assise pour manger. Sans se concerter, ils s'engagèrent vers le nord, en direction de l'Hôpital général. Ils s'arrêtèrent un moment pour regarder une parade organisée par la Société Saint-Jean-Baptiste. Des chars «allégoriques»    présentaient    les    moments
    glorieux du passé des Canadiens français. Seule une bonne dose de patriotisme permettait d'ignorer la modestie des moyens mis en œuvre. Sur des charrettes tirées par des chevaux, des figurants personnifiaient des personnages tirés des manuels des Frères des écoles chrétiennes, au milieu de décors très brièvement esquissés.
    Le plus réussi de ces chars, l'œuvre d'un fabricant de meubles de la rue Saint-Paul, représentait la Grande Hermine. L'entrepreneur portait un costume vaguement inspiré des tenues du seizième siècle, trois ou quatre de ses enfants également déguisés jouaient le rôle de son valeureux équipage.
    Près de la rivière Saint-Charles, partageant un pré avec quelques vaches, deux équipes disputaient chaudement une partie de baseball, l'une défendant les couleurs de la manufacture de chaussures Duchesne et l'autre, celle de son compétiteur Marsh. Si les cris d'excitation des spectateurs encourageaient les prouesses sportives, les manifestations les plus bruyantes retentirent quand la balle roula dans une bouse bien fraîche.
    —    Je pense que je devrais les rejoindre, murmura bientôt l'abbé Buteau.
    Il faisait allusion à sa petite coterie d'ecclésiastiques.
    —    Oui, bien sûr, répondit la jeune fille. De mon côté, je comptais réviser un peu ma grammaire. Alfred Picard se montre intraitable sur les fautes d'orthographe.
    Lentement, le frère et la sœur revinrent vers l'intersection des rues Saint-Joseph et de la Chapelle. Sur le perron du presbytère, un peu empruntés, ils se donnèrent rendez-vous pour le dimanche suivant, juste avant les vêpres.
    Le cliquetis des marteaux contre le rouleau du clavigraphe témoignait de la dextérité grandissante de Marie Buteau.
    Derrière elle, un peu de biais, Thomas Picard dictait les mots tout en observant les doigts agiles sur les touches :
    —Je vous prie de recevoir, monsieur Breton, l'expression...
    Un bruit d'instruments à vent et de voix humaines monta de la rue Saint-Joseph, trois étages plus bas, et envahit les bureaux du magasin par les fenêtres, grandes ouvertes, de la façade.
    —    Pourtant, les activités de la Saint-Jean se sont terminées il y a deux jours, remarqua la jeune femme en tournant la tête à demi pour voir son employeur.
    Celui-ci s'était rapproché d'une fenêtre. Après un moment, il fît un geste de la main en disant:
    —    Venez voir. On dirait un carnaval en plein été.
    Marie vint le rejoindre, pencha la tête vers l'extérieur.
    Sous leurs yeux, dans la rue, un étonnant véhicule tiré par deux chevaux passait justement. On y avait construit une curieuse estrade qui permettait à quatre longs sièges placés en parallèle d'accueillir une trentaine de musiciens. Ceux-ci, placés en quinconce, pouvaient jouer du trombone ou de la trompette sans nuire à une personne assise directement devant eux. Chacun portait un uniforme chamarré, rouge et vert, souligné d'une abondance de galons d'or.
    Derrière la curieuse voiture, des dizaines de personnes montées sur des bicyclettes suivaient en chantant en anglais.
    —    Cela me revient. Hier soir commençait le congrès de l'Association canadienne des bicyclistes. Les amoureux de cette petite machine de fer sont venus de partout au Canada pour festoyer dans notre ville.
    —    Grands Dieux, quelle curieuse idée, remarqua Marie en riant.
    Plutôt petite, elle arrivait tout juste à l'épaule de son patron. Ainsi, en pleine lumière, celui-ci appréciait la curieuse couleur de ses yeux sombres, la masse de cheveux d'un brun très foncé, presque noir, réunis comme d'habitude en une lourde tresse. Sa gracilité ne la

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