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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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salons, et les salles à manger bien sûr, de la Haute-Ville.
    Le chef de rayon s'esclaffa franchement avant de dire :
    —    Quelle redoutable faculté d'adaptation pour une demoiselle née dans le comté de Champlain, qui doit son séjour chez les ursulines à la générosité du Département de l'instruction publique.
    Un peu plus, et il disait « à la charité publique ». Seul son air amusé rendait son jugement moins cruel. Après une pause, il demanda :
    —    Je suppose que je pourrais compter sur les bons services du cerbère qui te sert de cocher?
    —    Grosjean? Évidemment. Je lui dirai de vous attendre près de l'église.
    Thomas Picard fit une pause, puis changea soudainement de sujet:
    —Tu crois que ta petite protégée, Marie Buteau, saurait
    tenir des livres ?
    —    Mon Dieu, pourquoi pas ! Aligner une colonne pour les dépenses, une autre pour les revenus, ce n'est pas bien sorcier. Moi-même, j'y arrive. Au pire, elle pourrait prendre un cours du soir. Ceux-ci reprendront en septembre, à deux pas d'ici, d'ailleurs. Pourquoi?
    —    Oh! Une idée comme cela, sans plus. Je lui confie de plus en plus de travail.
    Alfred lui adressa un sourire amusé, changea de position sur sa chaise avant de répondre :
    —J'ai remarqué. Si elle passe ses journées ici, je devrai embaucher une autre fille dans mon rayon.
    —    Tout de même, nous n'en sommes pas là. Elle joue le rôle de ta secrétaire pendant une heure tous les jours. Tout au plus, je lui demande une heure de plus.
    —    Veux-tu bien me dire quelles tâches aussi secrètes que discrètes tu confies à Fulgence Létourneau, ton ineffable secrétaire? Il s'absente régulièrement pendant plusieurs heures d'affilée.
    Ce fut au tour de Thomas de paraître amusé de la situation. Il rétorqua d'un ton chargé de mystère :
    —    Tu ne le sauras pas avant que tout soit en place.
    —    Encore une magouille politique ?
    —    Peut-être que je le ferai nommer sénateur !
    Alfred Picard quitta sa chaise pour se diriger vers la porte. Au moment où il allait l'ouvrir, il se retourna pour dire, une pointe d'agacement dans la voix :
    —    Pas moyen de parler sérieusement avec toi.
    —Je me suis si souvent dit la même chose à ton sujet.
    Au moment où le chef de rayon quittait la pièce, un grand rire lui parvint de derrière l'imposant bureau.
    Après un souper rapidement avalé, Marie Buteau et Yvonne, la jeune ouvrière avec qui elle partageait sa chambre depuis six mois, consentirent à dépenser cinq cents chacune afin de se rendre à la Haute-Ville. Une coupure du journal leur avait permis d'en apprendre plus sur le séjour des bicyclistes canadiens dans la capitale provinciale. L'espoir d'entendre un concert gratuit justifiait le coût du trajet.
    Une fois arrivées à destination, les jeunes femmes purent apprécier la fraîcheur de la brise qui balayait la Grande Allée. Fin juin, les manufactures et les commerces de Saint-Roch se révélaient parfois chauds et humides. Cela expliquait d'ailleurs pourquoi, au gré des décennies, les élites avaient jeté leur dévolu sur le long plateau longeant le fleuve Saint-Laurent.
    La grande pelouse située devant le manège militaire accueillait parfois les exercices de l'armée régulière et de la milice. Ce jour-là, un spectacle moins martial s'offrait aux yeux de centaines de badauds. Dans un coin, une petite scène, en réalité un assemblage sommaire de poutres et de planches, permettait à l'orchestre bigarré qui avait parcouru plus tôt les rues de la Basse-Ville de proposer des airs entraînants, des valses aux mazurkas.
    Les épreuves d'habileté représentaient cependant le clou du spectacle. Des cyclistes formaient la base d'une pyramide humaine se déplaçant rapidement. Chacun s'attendait à ce que les hommes se tenant debout sur leurs épaules chutent sur le sol, récoltant des bleus et des bosses. Ce fut en vain, ils arrivèrent indemnes à l'autre extrémité de l'espace gazonné. D'autres, moins audacieux, réussissaient pourtant à progresser vivement en maintenant la roue avant de leur véhicule dans les airs.
    L'entrée en scène de vieux vélocipèdes, ces montures composées d'une immense roue avant et d'une minuscule roue arrière, firent rire les deux jeunes femmes aux éclats. Que d'aussi ridicules machines, une génération plus tôt, aient pu être considérées comme un moyen de transport témoignait de la naïveté

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