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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pour sortir. Après un passage préventif au «petit coin» avec les enfants, elle rejoignit le chef de rayon près d'une porte donnant sur la terrasse Dufferin. Le soleil inondait la grande surface de madriers. Ils commencèrent par s'approcher de la haute balustrade de fonte afin de regarder, beaucoup plus bas, les équipements portuaires, les navires à l'ancre le long des quais et, plus loin, le magnifique panorama devant eux. Lévis se trouvait à peu près en face; l'île d'Orléans, à l'est, ressemblait à une immense arche de verdure amarrée au milieu du fleuve. La Côte-de-Beaupré s'allongeait au nord-ouest.
    Afin de se protéger les yeux du soleil, Elisabeth plaça sa main en visière sur son front. La lumière lui faisait toutefois
    plisser le visage.
    —    Vous auriez dû prendre une ombrelle, commenta son compagnon.
    —    ... Malheureusement, je n'en ai pas.
    —    Oh ! Mon frère se montre négligent. Vous passerez au magasin, nous en avons.
    —    Mes moyens sont limités. Très limités.
    Son interlocuteur eut un sourire amusé, puis déclara :
    —    Mais mon frère ne laissera pas gâter votre teint superbe par un hâle de paysanne.
    La remarque contenait un sous-entendu peu généreux, que la baronne de Staffe, experte des usages du monde, aurait certainement désavoué. Mieux valait faire l'économie d'une réponse. D'ailleurs après un court silence Alfred continua, un peu gêné :
    —    Juste à gauche du Château, il y a un petit parc tout à fait charmant. Avec un peu de chance, vous trouverez à vous asseoir à l'ombre des arbres, sur le gazon.
    Dans une communauté si obnubilée par l'ascétisme moral, le caractère alangui de la station assise à même le sol paraissait suspect. Une population soucieuse des apparences préférait suer à grosses gouttes debout sous un soleil de plomb. En conséquence, ils trouvèrent de la place.
    Tout de même, cela n'allait pas de soi. Avec un sens chevaleresque inimitable, Alfred enleva sa veste pour la poser sur l'herbe, sous un vieil érable. Elisabeth y posa les fesses avec précaution, soucieuse de révéler le moins possible de ses bottines, de ses chevilles et de ses jupons dans l'opération. Elle s'asseya les jambes un peu repliées, le dos bien droit, une main posée sur le sol derrière elle pour prendre appui. Grâce à son geste généreux et fort opportun, il se retrouvait en bras de chemise tout en assumant l'image du parfait gentleman.
    Assis dans l'herbe, Alfred profitait de la brise venue du fleuve. Repoussé un peu vers l'arrière, son canotier lui donnait un air vaguement canaille.
    —    Moi, je vais tacher ma robe, remarqua Eugénie d'une voix dépitée.
    —    Malheureusement, ma belle princesse, je me promène rarement avec une seconde veste. Mais tu sais, quelques brindilles ne déparent jamais une jolie fille.
    Moins résolue à passer pour une grande personne, la gamine lui aurait tiré la langue. À la fin, elle consentit à s'asseoir à même le sol. Edouard quant à lui ne se posa aucune question et entreprit de montrer à tout le monde qu'il savait déjà faire de belles culbutes. Sur une scène couverte surmontant un petit restaurant érigé pas trop loin, un orchestre distillait une musique légère. Les couples qui allaient bras dessus, bras dessous sur la vaste terrasse trahissaient leur envie de danser en esquissant un mouvement imperceptible des hanches.
    Pendant une bonne heure, Elisabeth et Alfred échangèrent des commentaires entrecoupés de très longs silences sur la douceur du climat et la majesté du point de vue. L'orchestre amateur des pompiers de la ville céda sa place à une dizaine d'hommes noirs hilares, tous vêtus d'un habit de soirée impeccable. Le teint de la peau et la couleur du costume soulignaient la blancheur des plastrons empesés. Dans leurs mains, des instruments de cuivre et des banjos promettaient des airs endiablés.
    —    Ce sont des Nègres de la Caroline, expliqua Alfred à l'intention de sa compagne. Ils parcourent les villes de l'Amérique du Nord pour proposer leur petit spectacle.
    —    Qui les paie ?
    —    Nous devons leur présence à la générosité de l'Association canadienne des bicyclistes, qui termine aujourd'hui sa semaine de réunions et de promenades. Je suppose que le Château apporte sa contribution. Tout le bon peuple agglutiné pour apercevoir des personnes à la peau noire va se précipiter dans les buvettes de

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