Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
sueur. Matthew se trouvait déjà là, de même que le vieux concierge. Vingt ans dans cet établissement lui avaient enseigné qu'il convenait de garder l'œil ouvert. Les messieurs dans la force de l'âge, ou même les plus décrépits, ne fréquentaient habituellement pas l'endroit pour le seul bénéfice de se délier les muscles.
    À la fin, sa cravate dans la poche, sa veste posée négligemment sur son épaule droite, le canotier incliné sur l'œil, le chef de rayon s'approcha pour demander :
    —    Cela te dit de venir prendre une bière ?
    —    Pourquoi pas ? Cela me fera du bien, après ce jeu bizarre avec le panier.
    L'anonymat représentait certainement le plus grand avantage offert par Montréal. A Québec, impossible d'aller où que ce soit sans croiser un voisin, ou le parent d'un voisin. Bien sûr, cela n'était pas un inconvénient en toute circonstance. Par exemple, dans une ville inconnue, comment distinguer les commerces respectables, des autres tenus par le monde interlope? Finalement, riche des confidences d'un portier à qui il avait glissé vingt-cinq cents au creux de la main, Thomas se dirigea, le soir venu, d'abord vers le port de Montréal, puis bifurqua sur la rue de La Gauchetière et marcha jusqu'à la rue Saint-Laurent.
    Dans le jour déclinant, ces parages s'avéraient un peu menaçants. De jeunes hommes, mains dans les poches et casquette rabattue sur les yeux, déambulaient sur les trottoirs et murmuraient «Tu veux sortir ? » aux badauds qui portaient des vêtements bourgeois. Au premier abord, impossible de juger s'ils entendaient payer de leur personne ou s'ils recrutaient des clients pour les services de leur bonne amie. En réalité, ces paroles demeuraient justes assez ambiguës pour n'entraîner aucune conséquence si elles tombaient dans l'oreille d'un policier en civil.
    La porte surmontée des chiffres 654, avec sa peinture verte écaillée, ne payait pas de mine. Elle donnait accès à un édifice privé de toute fenêtre en façade. Thomas passa devant sans s'arrêter, traversa la rue Saint-Laurent cent verges plus haut pour revenir sur ses pas. Au moment où il se trouvait de nouveau devant la bâtisse délabrée, la porte s'ouvrit pour laisser sortir un homme d'une cinquantaine d'années, coiffé d'un melon et vêtu d'un complet bien coupé. Surtout, pendant un moment, une faible musique se fit entendre.
    Le touriste continua jusqu'à la rue Craig, s'arrêta un moment dans le halo d'un réverbère et murmura :
    —    Maintenant, cesse de faire l'idiot. Ou tu rentres te coucher ou tu y vas !
    Finalement, il y alla. Trois coups sur la porte et celle-ci s'ouvrit. Un homme à la carrure imposante le soupesa du regard.
    —Je peux entrer?
    L'autre, satisfait de son examen, s'écarta pour lui permettre de passer, puis il fit jouer le pêne avant de dire en anglais :
    —    C'est devant.
    L'éclairage un peu tremblant d'une lampe à pétrole laissait voir un réseau de cicatrices profondes sur les traits du cerbère. Mieux valait ne pas le contredire.
    Thomas se dirigea à l'extrémité du corridor pour se retrouver dans un salon encombré de fauteuils et de divans. Un papier peint d'un rouge sombre, de lourds rideaux tendus sur des murs aveugles donnaient à la pièce un aspect bourgeois un peu suranné. Bien sûr, à la lumière du jour, l'endroit devait apparaître dans toute sa réalité lugubre et déprimante. Mais justement, il ne se révélait jamais autrement qu'à la lueur des quelques lampes posées sur des guéridons.
    La vue des consommateurs, plus que le mobilier, rassura le nouveau venu. L'accoutrement de la douzaine d'hommes leur conférait un air plutôt respectable. Sans la présence d'un nombre égal de jeunes femmes, dont la moitié ne portait plus qu'un corset, un sous-vêtement allant à mi-cuisse et des bas, cela aurait fait penser à une réunion d'une chambre de commerce ou d'un parti politique. Dans un coin, un gramophone distillait une musique enjouée, au rythme de la rotation d'un rouleau de cire.
    —    Monsieur, je ne pense pas vous avoir déjà vu ici.
    Une grosse femme affreusement maquillée, dans la quarantaine, fit irruption devant lui.
    —    En effet, je suis de passage.
    Thomas laissa ses yeux s'égarer sur d'interminables seins dont les bouts menaçaient de jaillir du corset à la prochaine respiration.
    —    Vous pouvez rester ici prendre un verre, annonça-t-elle avec une œillade intéressée, ou alors

Weitere Kostenlose Bücher