Faubourg Saint-Roch
assez grand pour vous deux. Dans quelques minutes, je viendrai vous chercher, nous irons marcher au grand air.
Au moment où l'homme fermait la porte entre les deux chambres, Alice murmura d'une voix amusée :
— Voilà que vous êtes deux à vouloir partager sa couche. Elle aura fort à faire.
L'homme ferma les yeux un instant, prit une grande respiration et décida de sortir sur la véranda un moment. Cette semaine de vacances risquait de devenir exténuante.
Certaines activités, banales sinon ennuyeuses pour les enfants de la campagne, revêtaient un intérêt irrésistible pour ceux de la ville. Un cultivateur trouvait un complément de revenu intéressant en venant chercher des touristes pour les conduire dans les champs afin de cueillir des fraises. Thomas paya en adressant à l'homme un sourire narquois, aida les enfants à monter dans la charrette à foin où quelques personnes prenaient déjà place. Elisabeth se débrouilla toute seule, trouva à s'asseoir les jambes dans le vide, ouvrit son ombrelle pour la poser sur son épaule.
— Je ne vous connaissais pas cet accessoire, remarqua Thomas en prenant place près d'elle.
—Je l'ai depuis vendredi dernier seulement. Un garçon de course de votre magasin me l'a apportée à la maison. C'est un cadeau de votre frère Alfred.
— Il vous fait des cadeaux ?
L'étonnement sur le visage du commerçant fit sourire la jeune femme, qui prit tout son temps avant de fournir une explication :
— Cela fait suite à une conversation que nous avons eue sur la terrasse Dufferin.
— A propos des ombrelles ?
— Pour être tout à fait honnête avec vous, à propos de mon joli teint de blonde. Sur la nécessité d'assurer la protection de celui-ci, pour être plus précise.
Mieux valait ne rien ajouter, surtout en présence des enfants, aussi l'homme se tint coi. De toute façon, Edouard requérait une surveillance étroite, sinon il risquait de plonger la tête première vers le sol. Pendant près d'une heure, la charrette parcourut un chemin rural accidenté à souhait, dans un paysage absolument bucolique. Le cheval essoufflé progressait si lentement que parfois, un passager sautait en bas du véhicule juste pour le plaisir de marcher un peu, puis remontait en riant.
Le cultivateur s'arrêta enfin au bout d'un champ fermé par une méchante clôture de perches de cèdre, où des buissons le disputaient aux herbes folles.
— Il y a des fraisiers là-bas, près du bosquet. Je vais vous attendre ici. Nous repartirons dans une heure.
— Risquons-nous de voir des ours dans ces parages ? demanda une voix en anglais.
Comme le paysan ne répondait pas, ce fut Thomas qui prit l'initiative de traduire la question, et ensuite la réponse.
— S'il y en a, avec tout le bruit que ces gens-là vont faire, ils s'enfuiront dans les bois.
Après ces paroles à peine rassurantes, le commerçant rejoignit sa petite famille qui marchait résolument vers l'orée du bois. Quelques minutes suffirent au quatuor pour se rendre compte que si le cultivateur n'avait pas menti - les fraisiers se trouvaient bien là -, les petits fruits quant à eux faisaient presque totalement défaut. Et ceux qu'ils découvraient encore sur les plans se révélaient flétris.
— Nous sommes un peu tard dans la saison, expliqua Thomas à sa fille quand elle leva vers lui de grands yeux déçus.
— Mais cela ne fait rien, intervint Elisabeth avec un sourire encourageant. Regarde toutes ces fleurs dans les champs, puis le fleuve au loin. C'est magnifique.
— Je voulais manger des fraises, protesta Edouard d'une voix aiguë.
— Si nous regardons bien, je parie que nous trouverons du thé des bois dans la mousse, sous les arbres.
Le garçon la regarda un moment, intrigué, pour opposer
bientôt :
— Selon Joséphine, je suis trop jeune pour boire du thé.
— Mais certainement assez vieux pour manger de cette sorte-là. Tu viens avec moi ?
Elle tendait la main, le garçon la prit sans hésiter. Thomas enleva son chapeau de paille pour passer son mouchoir sur son front, puis observa:
— Comme je ne suis pas très porté sur le thé des bois, et que cet arbre, là-bas, me semble fournir une ombre attirante, je vais aller m'étendre un peu.
—Je vais avec toi, proposa tout de suite Eugénie. C'est plein d'insectes dans l'herbe.
La petite fille avait raison. Sous la chaleur de juillet,
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