Fausta Vaincue
s’en était venu à petites journées de Gravelines qu’il n’avait quitté qu’après s’être assuré de la prochaine guérison du messager à qui il avait fourni un si joli coup d’épée. A Amiens, Pardaillan s’était arrêté deux jours. Il éprouvait une certaine lassitude, non pas de la route ou des batailles auxquelles sa destinée, disait-il, le mêlait malgré lui, mais de cette solitude où il se trouvait. Solitude d’âme et de corps… Il était seul dans la vie…
En somme, il s’intéressait à deux choses : d’abord frapper Maurevert, car c’eût été pour lui la pire et la plus affreuse défaite que de disparaître ou de mourir sans avoir écrasé cette vipère. Ensuite, faire rentrer dans la gorge du duc, moyennant sa bonne rapière, les insultes que Guise avait proférées contre lui, le jour où, pour sauver Huguette, le chevalier s’était rendu.
C’était donc surtout dans un moment d’indécision, que Pardaillan s’était arrêté à Amiens. Etendu sur le lit d’une pauvre chambre d’auberge, les bras croisés, les yeux fixes, il songeait.
« Supposons, dit-il, que je terrasse Maurevert, et Guise et Fausta. Que ferai-je après ? »
Voilà où était la question… Que faire de sa vie ?… Et la question était effroyable car Pardaillan ne savait que faire de sa vie !…
Il s’ennuyait et s’ennuyait tout simplement parce que la vieille cicatrice de son cœur n’était pas fermée encore, et parce qu’il ne savait où aller quand il aurait enfin réglé ses comptes – s’il y arrivait.
« Que ferai-je… Où irai-je ? Demanderai-je l’hospitalité au petit duc, et me laisserai-je vieillir dans l’espoir d’enseigner les mystères du contre de sixte [12] aux enfants de Violetta ? Hum ?… Perspective peu attrayante. Et puis les gens heureux sont assommants… M’en irai-je donc vieillir auprès d’Huguette ? »
Longtemps, Pardaillan s’arrêta sur cette pensée avec un inexprimable attendrissement, qui adoucissait la fixité désespérée de son regard, à ce moment dardé sur une toile d’araignée du plafond.
« Après tout, finit-il par se dire, il y a encore des grandes routes en France et ailleurs. Il y aura toujours des arbres le long de ces routes, du soleil dans l’air, à moins que ce ne soit de la pluie… »
Il s’arrêta encore là-dessus. Et, à vrai dire, la pensée de reprendre le harnais, de s’en aller au hasard, frottant les insolents, donnant la main au pauvre diable, allant et venant à sa guise, sans maître, sans obligation d’aucune sorte, c’était cette pensée seule qui ramenait un sourire sur ses lèvres.
Lorsque Pardaillan reprit son chemin vers Paris, il n’avait en somme décidé qu’une chose : c’est qu’il surveillerait de près les faits et gestes de M. de Guise. Aussi, en arrivant à peu près à la même heure où Fausta sortait de Paris, lorsqu’il eut appris par le premier bourgeois venu que le duc de Guise était à Blois, Pardaillan se dit :
– Eh bien, je continue ma route jusqu’à Blois.
Mais sans doute une réflexion qui traversa son esprit le fit changer d’idée. Seulement, il évita de passer par la rue Saint-Denis ; il ne voulait pas s’arrêter à la
Devinière
,
peut-être dans la crainte d’être retenu par Huguette.
Parvenu à la Seine, Pardaillan traversa le pont Notre-Dame, longea la rue de la Juiverie, puis par le Petit-Pont, aboutit directement à la rue Saint-Jacques qui traversait toute l’Université. Tout en haut de la rue Saint-Jacques et près des remparts, il arrêta son cheval devant le porche du couvent des jacobins, mit pied à terre, et attacha sa monture à un anneau de fer, comme il y en avait à tous les murs à cette époque où il y avait autant de cavaliers dans la rue que de piétons. Alors, il heurta le marteau de la porte.
Un judas s’entrouvrit, à travers lequel le frère portier lui demanda ce qu’il voulait, l’informant aussitôt qu’on ne recevait ni pèlerins, ni voyageurs dans ce couvent – ce qui était vrai.
Mais Pardaillan ayant répondu qu’il ne venait ni faire une neuvaine ni demander l’hospitalité, mais qu’il venait simplement faire visite à un révérend père, le portier l’informa alors qu’il était interdit aux moines de communiquer avec les laïcs – ce qui n’était pas vrai. Enfin, Pardaillan d’abord désappointé ayant fini par prononcer le nom de frère Jacques Clément, le portier, avec un
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