Fausta Vaincue
même temps sur la lettre posée sur la table. Leurs deux têtes, qui se touchaient presque, formaient dans la pénombre un de ces tableaux que Rembrandt seul eût été capable de traduire. Il se dégageait une puissante et pénible impression, une sorte de poésie farouche, de ces deux têtes vieillies, ridées, d’une pâleur de marbre, mais où éclatait une joie funeste et terrible. Et ce spectacle eût impressionné tout autre que Maurevert… Voici ce que contenait la lettre :
« Madame,
Vous m’avez si bien, convaincu que je ne veux pas attendre une minute pour commencer l’exécution de l’admirable plan que vous m’avez développé. Ce n’est donc ni dans un mois ni dans huit jours que je me rendrai à Blois. J’y vais tout de ce pas. C’est donc à Blois même que j’aurai l’honneur de vous attendre afin de hâter ces deux événements que je souhaite avec une égale ardeur : la mort de qui vous savez, et l’union des deux puissances que vous connaissez.
« Henri, duc de Guise… pour le moment. »
Cette lettre, c’était celle-là même que Guise avait remise à Maurevert pour Fausta. Maurevert avait copié la lettre, remis la copie parfaitement imitée à Fausta et gardé l’original pour lui. La signature « Henri, duc de Guise… POUR LE MOMENT » constituait l’aveu échappé à la prudence du duc. Ce mot éclairait la lettre. « Qui vous savez », c’était le roi !…
Lorsque Catherine eut lu et relu cette lettre non pour en découvrir le sens, car ce sens lui apparaissait très clair, à elle, mais pour y chercher la possibilité d’accabler le duc sous une accusation capitale, elle demanda :
– A qui était adressée cette lettre ?
– A la princesse Fausta… dit Maurevert.
– Donc, elle ne l’a pas reçue ?…
– Pardon, madame. La princesse Fausta a reçu la lettre… ou une copie de la lettre.
Catherine le regarda avec une certaine admiration.
– Vous êtes sûr que nul autre que vous n’a vu cette lettre ? reprit-elle.
– Parfaitement sûr, madame !…
Catherine appuya son coude sur la table, sa tête sur sa main, et les yeux fixés sur le papier, se plongea en une profonde rêverie.
– La princesse Fausta ! murmura-t-elle enfin.
A quoi songeait-elle donc en prononçant ce nom ?…
q
Chapitre 26 PARDAILLAN AU COUVENT
N ous laisserons Catherine de Médicis à sa rêverie, nous réservant de raconter plus tard ce qui advint de la trahison de Maurevert. Passons donc, avec la magique rapidité de la pensée, de Blois à Paris.
Quelques jours se sont passés depuis le départ du duc de Guise. Paris est inquiet.
Au palais Fausta, une douzaine de jours après le départ des Lorrains, un mouvement se produit. Fausta a lu la lettre que Guise lui a fait remettre par Maurevert. Fausta a pris la résolution de rejoindre le duc à Blois. Elle y voit un double avantage : d’abord, surveiller de près celui qui va devenir le roi de France, le pousser, surchauffer cet esprit si mobile quand il ne se trouve pas jeté dans l’action immédiate et violente ; ensuite, cacher au duc cette sorte de faiblesse où elle se trouve depuis la trahison de Rovenni…
Tout est donc prêt pour le voyage. Une litière attend devant la porte. Douze hommes d’armes recrutés depuis peu lui serviront d’escorte. Depuis quatre jours, deux domestiques de confiance sont partis à Blois pour préparer les logis de la souveraine. Fausta monte dans la litière avec ses deux suivantes. Myrthis et Léa sont heureuses de ce voyage et enchantées de quitter, ne fût-ce que pour quelques jours, la sombre demeure.
Au moment du départ, Fausta jette un long regard sur ce palais où elle a pensé, aimé, souffert, calculé, combiné la plus formidable des conspirations. L’image de Pardaillan passe dans son esprit assombri. Mais elle secoue la tête… Il est mort… elle est délivrée !…
Enfin, elle donne le signal de départ, détourne ses yeux de ce palais où tant de choses se sont passées, et le cœur serré par un vague pressentiment, elle laisse tomber la ridelle de la litière. Une heure plus tard, Fausta et son escorte sont sur la route de Blois.
Or, à l’heure même où Fausta sortait de Paris par la porte Notre-Dame-des-Champs après une courte station au couvent des jacobins situé dans le voisinage de cette porte, le chevalier de Pardaillan rentrait dans la ville par la porte Saint-Denis, c’est-à-dire par l’extrémité opposée.
Il
Weitere Kostenlose Bücher