Fausta Vaincue
moi, et que du haut de la plus étincelante destinée entrevue, je sois précipitée dans un abîme de honte et de douleur. Lorsque j’ai entendu crier dans la rue, j’ai vu Guise mort… et je vous ai vu. En vain j’ai repoussé votre image maudite… je savais que vous étiez là !…
Elle s’arrêta, grelottante ; une flamme de folie passa dans ses yeux.
– Mon malheur est complet, reprit-elle. J’étais tout. Je ne suis rien. Mais vous qui venez vous repaître de ma douleur, vous qui m’écrasez et trouvez en vous le courage de vous réjouir de l’écrasement d’une femme, vous l’hypocrite qui jouez à la générosité, vous le faux chevalier qui venez insulter à ma misère, sachez-le, vous êtes plus bas que moi. Misérable spadassin, plus vil que le dernier bravo, vous avez mis votre rapière au service de vos vengeances ; vous croyez porter l’épée, vous ne tenez qu’un couteau. Que faites-vous ici ? Dehors ! J’ai voulu vous tuer quand j’ai cru que vous étiez un homme. Vous êtes un laquais qui, par derrière et dans l’ombre, a frappé un maître, et je vous chasse. Dehors ! Allez demander à Valois le prix de votre assassinat !
Elle parlait d’une voix rauque et si précipitée qu’à peine elle était intelligible. Son bras tendu vers la porte tremblait. Pardaillan avait baissé la tête, pensif.
Soudain, en la relevant, il vit Fausta qui marchait sur lui le poignard à la main. Elle rugissait. Une mousse légère blanchissait le coin de ses lèvres, et ses yeux noirs brillaient d’un éclat dévorant. Il la laissa s’approcher. Et au moment où elle levait le bras, il n’eut qu’un geste : il saisit le poignet de Fausta et le maintint rudement dans ses doigts.
– Que faites-vous ? dit-il. Allons, madame, on ne me tue pas ainsi, moi ! Car mon heure n’est pas venue. Tenez, je vous lâche : osez me frapper !
Il la lâcha et se croisa les bras. Fausta le regarda. Elle le vit si calme, si étincelant de bravoure, vraiment plus fort que la mort, et avec une telle pitié dans les yeux, qu’elle laissa tomber son arme ; elle recula et éclata en sanglots.
– Madame, dit Pardaillan, avec une grande douceur, la scène de la cathédrale de Chartres est vivante dans mon esprit ; vos lèvres ont touché mes lèvres, et c’est pour cela que je suis ici. Que je me sois donné la satisfaction de vous annoncer la mort de Guise, ce n’est pas injuste. Mais vous avez raison, peut-être n’est-ce pas généreux. Laissez-moi donc vous dire qu’en venant ici, j’avais un double but. D’abord, vous dire que vous ne serez pas reine, et après tout, générosité à part, il fallait bien vous prouver que je tenais ma parole puisque dès notre première rencontre, je vous ai dit : « Je ne veux pas que Guise soit roi !… » Ensuite, madame, au château, j’ai vu arrêter sous mes yeux, le cardinal de Guise, et M. d’Espignac, et M. de Bourbon, et d’autres. Et j’ai entendu le cardinal de Guise crier à M. d’Aumont qui l’arrêtait : « C’est une trahison de la Fausta… » J’ai pensé, madame, qu’on viendrait vous saisir, vous aussi, et cette épée qui a brisé votre royaume, je me suis dit que je devais la mettre au service de votre vie et de votre liberté. Car vous êtes jeune et belle. Vous pouvez, vous devez vous refaire une existence, et si vous n’avez pas trouvé le pouvoir, peut-être trouverez-vous le bonheur. A une lieue de Blois, j’ai préparé deux chevaux, un pour vous, un pour quelque serviteur qui vous accompagnera. Hâtez-vous de me suivre, tandis qu’il en est encore temps…
A mesure que Pardaillan parlait, les passions déchaînées dans l’âme de Fausta prenaient un autre cours. Avec l’extraordinaire promptitude de décision qui la rendait si supérieure, elle prenait son parti de l’abominable aventure. Elle s’apaisait. Elle rayait Guise de son esprit, et la souveraineté de ses espérances. Son imagination ardente échafaudait déjà un plan de vie nouvelle.
Vivre ! Etre heureuse ! Renoncer au pouvoir pour chercher le bonheur ! Et comme dans la cathédrale de Chartres, c’est dans l’amour qu’elle entrevoyait ce bonheur.
Il ne serait pas juste de dire que sa passion pour Pardaillan se réveillait, car en réalité elle n’avait jamais cessé de l’aimer. Mais qui savait s’il ne l’aimait pas, lui, à présent ?… Qui savait si ce n’était pas une jalousie inavouée qui avait armé son bras
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