Fausta Vaincue
chevaux, des cris de terreur, des hurlements de bataille. Une sueur froide pointa à son front. Que se passait-il ? Il lui eût été facile de le savoir en envoyant un valet interroger le premier venu dans la rue. Mais Fausta ne voulait pas savoir.
Elle en arrivait à deviner la vérité, à reconstituer l’effroyable vérité. Mais cette vérité, elle essayait d’en retarder en elle l’explosion. Haletante, pâle comme une morte, à demi penchée, elle écoutait ces bruits de dehors ; des paroles lui parvenaient, qui confirmaient la supposition atroce. Elle ne pensait plus ; dans sa tête, c’était un vertige, un chaos d’idées entrechoquées ; elle frissonnait convulsivement et ses dents grinçaient…
Près de deux heures s’écoulèrent. Les bruits, peu à peu, s’éloignaient… Fausta pressa son front à deux mains et murmura :
– Aurai-je le courage de savoir ce qui se passe !… Quoi ?… Est-ce possible ?… Un tel effondrement si près du triomphe !… Folie !… Allons… c’est une échauffourée de bourgeois… Guise est en sûreté… ce soir, à dix heures, ce qui doit être sera !…
Elle frappa fortement sur un timbre et un laquais apparut. Et comme elle allait lui donner l’ordre de s’enquérir de la cause de ces bruits qui agitaient la ville, le laquais lui dit :
– Madame, un gentilhomme est là, qui ne veut pas dire son nom et veut parler à Votre Seigneurie.
– Qu’il entre ! dit Fausta d’une voix faible, et presque malgré elle. Et à peine eut-elle dit cela qu’elle s’en repentit. La pensée était en elle que ce gentilhomme inconnu allait la lui dire, la cause des bruits, et que cette cause était terrible.
Au même instant, Pardaillan entra dans le salon. Fausta fut secouée d’une sorte de frisson nerveux et fixa sur lui des yeux exorbités par une indicible épouvante. Elle voulut pousser un cri, et sa bouche demeura entrouverte sans proférer aucun son. Elle voulut reculer comme devant une apparition d’outre-tombe, et elle ne put que se cramponner des deux mains au dossier d’un fauteuil. Pardaillan s’approcha d’elle, le chapeau à la main, s’inclina profondément et dit :
– Madame, j’ai l’honneur de vous annoncer que je viens de tuer M. le duc de Guise…
Un soupir atroce gonfla la poitrine de Fausta. Elle se sentait mourir. Et la présence de Pardaillan… Pardaillan vivant ! Pardaillan qu’elle croyait au fond de la Seine… cette présence ce combinant, formant un tout avec l’annonce de la catastrophe, l’arrachait au domaine de la réalité pour la pousser dans le fantastique. Elle rêvait… C’était un rêve hideux, inconcevable, mais ce n’était qu’un rêve… Sûrement elle allait se réveiller !
– Madame, continua Pardaillan, il m’a paru que c’était une légitime satisfaction que je me donnais à moi-même en venant vous annoncer ce que j’ai fait. Je vous avais prévenu jadis que, moi vivant, Guise ne serait pas roi, et que vous ne seriez pas reine.
Un sourd gémissement s’échappa des lèvres blêmes de Fausta, et elle put murmurer :
– Pardaillan !…
– Moi-même, madame. Je conçois votre étonnement, puisque, après avoir voulu m’assassiner un certain nombre de fois, vous m’avez livré aux gens de Guise le jour même où je vous arrachais aux griffes de Sixte.
– Pardaillan ! répéta Fausta dans un souffle.
– En chair et en os, madame, n’en doutez pas. Tenez, je vais vous dire. Dans l’abbaye de Montmartre, le jour où vous avez crucifié la pauvre petite Violetta, je vous ai vue si courageuse au milieu des traîtres, si orgueilleuse devant la mort, que sans doute ce jour-là, je vous aurais pardonné tout le reste et, par la même occasion, j’eusse pardonné à Guise. Mais vous m’avez obligé à faire un deuxième voyage dans la nasse. Ceci n’était pas de jeu, madame, j’ai compris que vous étiez une force inhumaine, et qu’il fallait vous écraser. Eh bien, je vous écrase, un mot y suffit : Guise est mort, madame ! mort quelques heures avant d’être roi et de vous couronner reine. Et c’est moi qui l’ai tué…
Il se tut et considéra Fausta avec cette tranquillité modeste qui était peut-être la plus redoutable des ironies. Fausta, alors, parla, d’une voix basse et pénible, comme si les mots eussent eu de la peine à sortir. Elle dit à peu près ceci :
– Puisque vous vivez, vous, il n’est pas étonnant que je sois écrasée,
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