Fausta Vaincue
c’est un vrai désespoir que m’eût causé l’assommade d’un grand capitaine comme vous.
Quelques jours s’écoulèrent. La fin de l’année se passa dans une tranquillité relative. Cependant, on apprit le 3 janvier que Mayenne avait réuni une armée et qu’il se dirigeait sur Paris, acclamé tout le long du chemin par les populations révoltées. Crillon avait environ dix mille hommes de troupes campées sous Blois. Il se tint prêt à tout événement… mais le roi ne rentrait toujours pas.
Cependant, le 5 au matin, Pardaillan étant descendu dans la grande salle pour se rendre ensuite au château où tous les jours il allait voir Crillon, apprit que le roi était revenu dans la nuit. Du moins, c’était la rumeur qui courait dans l’auberge. Comme il allait sortir, il vit entrer par la porte du fond de la salle qui communiquait avec l’escalier du premier étage, un moine qui, le capuchon rabattu sur le visage, s’avançait vers la porte de sortie.
« Je connais cette tournure-là ! » fit en lui-même Pardaillan qui tressaillit.
Et il se plaça devant le moine qui traversait la salle. Le moine s’arrêta un instant, puis murmura :
– Venez…
Pardaillan reconnut la voix de Jacques Clément !… Et rapprochant dans son esprit cette soudaine apparition du moine avec le bruit qui courait du retour d’Henri III…
« Diable ! songea-t-il, je crois que je vais assister à quelque grand événement, et que si ma rapière a déjà changé la face de l’histoire de ces temps en rencontrant la poitrine du chef de la sainte Ligue, il y a sous cette robe de bure un poignard qui, en prenant contact avec la poitrine de Valois, pourrait bien changer l’histoire de la monarchie. Il faut que je vois cela ! »
Et il se mit à suivre Jacques Clément qui était sorti. Sur la place à vingt pas du porche du château, Jacques Clément s’arrêta.
– Ainsi, dit Pardaillan, vous êtes revenu à Blois ?
– Je ne suis pas revenu, dit le moine d’une voix sombre ; je ne me suis pas éloigné un instant de ma chambre ; je savais que vous étiez dans l’auberge ; mais j’ai voulu être seul… seul avec moi-même, seul avec ma conscience, seul avec Dieu qui me parlait !
– Ah ! fit Pardaillan narquois, et que vous disait-il ?…
– Qui cela ? demanda Jacques Clément de cette voix fiévreuse et affolée qu’il avait par moment.
– Mais Dieu !… Ne venez-vous pas de me dire que vous aviez eu un entretien avec lui dans cette chambre d’auberge où vous étiez terré ?… Allons, tenez, rentrons, vous grelottez la fièvre… cela vient de l’eau que vous buvez en abondance et de la famine que vous vous infligez…
– Pardaillan, gronda le moine en saisissant la main du chevalier, l’heure est venue… Rien ni personne ne pourra m’empêcher de tuer Valois ce matin. Voilà quinze jours que je guette son retour… Dieu me l’envoie enfin !… Et Dieu a voulu aussi vous faire rester à Blois afin que vous m’aidiez…
– Hein ? s’écria Pardaillan étourdi.
– J’ai compté sur vous ! dit le moine. Oui, j’ai la fièvre ; oui, ma tête brûle, mais mes pensées sont d’une clarté terrible. Je vous ai guetté, j’ai vu l’amitié qui vous lie à ce soudard de Crillon ; et moi, qui doutais de Dieu dans mes insomnies effroyables, moi, qui cherchais en vain le moyen de pénétrer au château, j’ai vu dans cette amitié l’intervention divine…
– Diable, diable ! Vous croyez ?…
– Pardaillan, il faut que vous me fassiez entrer au château. Présentez-moi à Crillon comme un de vos amis, faites ce que vous voudrez, mais il faut que j’entre…
– Ainsi, vous avez compté sur moi pour vous aider à tuer le roi ?
Pardaillan devint grave et réfléchit une minute, non sur la décision qu’il allait prendre, mais sur la manière de communiquer cette décision à Jacques Clément.
– Mon cher ami, dit-il enfin, écoutez-moi bien. Si vous me disiez : « Tout à l’heure, je me bats en duel, veuillez vous aligner avec le témoin de mon adversaire », je vous répondrais : « Très bien, allons nous couper la gorge avec cet inconnu. » Si vous étiez attaqué, fût-ce par dix rois, et que vous m’appeliez à l’aide, je tomberais sur les dix rois à bras raccourcis, et si Valois était dans le tas, peut-être aurait-il à se repentir d’avoir porté la main sur vous. Mais vous me demandez de vous conduire par la main jusqu’à
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