Fausta Vaincue
ceci :
« La mère d’Henri III meurt ; et celui qui la voit mourir, c’est le fils d’Alice de Lux… »
Cependant, un mouvement de la vieille reine l’arracha brusquement à sa rêverie. D’un geste lent de sa main affaiblie, Catherine lui faisait signe d’approcher. Elle murmura :
– Plus près, mon père, plus près…
Il vint à pas lents et s’arrêta tout contre elle, au chevet du lit. Catherine de Médicis le regarda, et, dans son souffle haletant, dans cet indistinct murmure qu’ont les agonisants, reprit :
– Vous n’êtes pas le chapelain du château…
– Non, madame, dit Jacques Clément ; le chapelain est absent ; je passais par hasard devant le château, et c’est moi qu’on a appelé pour assister la mère du roi de France…
– Tant mieux, murmura Catherine, peut-être parce qu’elle préférait se confesser à un moine inconnu, ou peut-être parce qu’elle disait une chose qui répondait à une pensée d’agonie.
Mais Jacques Clément frémit et répéta :
– Oui… tant mieux…
– Mon fils ? demanda la mourante. Où est mon fils ?…
– Le roi est à Amboise, madame…
Elle demeura une minute silencieuse, les yeux fermés. De ces paupières soudées descendaient des larmes qui suivaient le sillon des rides… Et elle dit :
– Je ne le verrai donc plus ?… Je meurs, et mon fils n’est pas là… Parmi tant de morts horribles que j’ai redoutées, celle-ci est la plus terrible… O mon fils, je t’ai tant aimé… et mes yeux, en se fermant pour toujours, n’emporteront pas ton image dans la tombe…
Puis elle se mit à parler d’une voix rapide et indistincte. Le moine penché sur elle, ne put saisir au passage que quelques mots, des noms plutôt…
– Diane de France… Montgomery… ce n’est pas vrai… et puis vous, Coligny… je ne veux pas… écoute, Maurevert…
Jacques Clément écoutait ardemment… Dans ces lambeaux de pensée, il attendait une pensée ; dans cette chevauchée des remords défilant dans l’esprit de la mourante, il guettait un remords… Tout à coup Catherine s’arrêta. Elle ouvrit des yeux étonnés, et s’arrangeant sur ses oreillers, dans un retour d’énergie vitale :
– Qu’ai-je dit ? demanda-t-elle rudement.
– Rien, madame, fit le moine. J’attends qu’il plaise à Votre Majesté de me confier les secrets de son âme, afin que je les dépose au pied du redoutable trône du justicier qui voit, qui entend, qui pardonne… ou condamne.
La vieille reine se souleva, avec un long frisson. Elle fixa sur le confesseur un regard ardent :
– Mon père, dit-elle, si je me repens de mes fautes, Dieu me pardonnera-t-il ?…
– Si vous les avouez, oui !
– Ecoutez donc, puisqu’il le faut.
Le moine se recueillit, s’immobilisa, à demi penché pour recueillir les suprêmes aveux de la reine. Elle haletait. Sa main droite allait et venait machinalement sur la courtepointe, dans ce geste d’agonie que le peuple, en son langage terriblement imagé, appelle « faire ses paquets », expression formidablement comique et funèbre, d’une poignante justesse de coloris.
– Voilà, dit l’agonisante dans un râle, à peine perceptible, j’ai tué ou fait tuer quelques douzaines de pauvres diables, jeunes seigneurs un peu têtus qui s’obstinaient à ne pas écouter mes avis, bourgeois ou manants… la hache, la corde, les oubliettes, le poison, j’ai dû employer tous ces moyens. J’avoue que j’eusse pu éviter ces meurtres, mais au détriment du bon gouvernement de l’Etat…
– Passez, madame, dit le moine, ceci est peu de chose…
Catherine tressaillit de joie. Elle reprit avec plus d’hésitation :
– Montgomery tua mon époux Henri deuxième… j’avoue que ce coup de lance malheureux n’était pas tout à fait dû au hasard…
– Le roi votre époux vous a fait subir mille avanies ; quelqu’énorme que soit le crime, il se conçoit et je crois que vous pouvez passer à d’autres événements…
Catherine respira soulagée.
– Jeanne d’Albret, continua-t-elle, est morte d’une fièvre qui la prit soudain au Louvre ; j’avoue que si je ne lui avais pas envoyé certaine boîte de gants, la fièvre n’eût peut-être pas été mortelle…
– Passez, madame ! gronda le moine.
– Mon fils, haleta la mourante, mon fils Charles IX eût peut-être longtemps vécu si je n’avais eu un ardent désir de voir Henri sur le trône…
Un sanglot
Weitere Kostenlose Bücher