Fausta Vaincue
dire :
– Le roi n’est pas à Blois…
– Je sais : il est encore à Amboise, dit Jacques Clément.
– Oui ! mais ce que vous ne savez pas et ce que vient de m’apprendre Crillon, c’est que l’armée royale va se mettre en marche sur Paris et tâcher de rencontrer l’armée de Mayenne.
– J’irai donc à Paris, fit simplement le moine.
Il rentra dans l’auberge, paya ses dépenses, se défit de sa robe de moine et, reparaissant en cavalier, fit ses adieux à Pardaillan en quelques mots brefs.
– Nous retrouverons-nous jamais ? demanda le chevalier, qui ne put s’empêcher de frémir à voir ce visage ascétique ravagé par les formidables émotions que le moine venait d’éprouver.
– Dieu le sait ! répondit Jacques Clément en levant son doigt au ciel. Il monta à cheval, fit un dernier signe d’adieu et disparut bientôt au coin de la première ruelle. Pardaillan, tout songeur, rentra dans l’
Hôtellerie du Château.
Quelques minutes plus tard, il ressortait, traînant son cheval par la bride. Crillon, installé sous le porche en cas d’alerte bourgeoise, l’aperçut et vint à lui.
– Vous partez ?…
– Je pars ! dit Pardaillan. Je m’ennuie, la grande route me distraira.
– Restez ! Le roi vous donnera un régiment à commander.
– Bah ! j’ai déjà bien du mal à me commander moi-même… Adieu !
– Adieu, donc ! Où allez-vous ?…
– Tiens ! Au fait ! fit Pardaillan. Où vais-je ?…
Il ôta son chapeau et l’éleva en l’air au bout de son bras.
– Connaissez-vous la rose des vents ? dit-il.
– Oui, fit Crillon ébahi. Pourquoi ?
– Faites-moi l’amitié de me dire de quel côté le vent pousse la plume de mon chapeau.
– Ah ! ah ! dit le brave Crillon, les yeux écarquillés de surprise.
– Eh bien ?…
– Eh bien, donc voici… Voyons, de ce côté, Paris… par là, Orléans… Par là, Tours… et de ce côté-ci… monsieur de Pardaillan, la plume de votre chapeau va vers l’Italie.
– L’Italie ! fit Pardaillan avec un rire étrange. Eh bien, pourquoi Pas ? Va pour l’Italie ! Merci de votre complaisance, monsieur de Crillon.
Et Pardaillan, ayant remis son chapeau sur sa tête, serra les mains du brave capitaine, sauta légèrement en selle et s’éloigna en sifflant une fanfare du temps du roi Charles IX.
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Chapitre 39 LES FRAIS DE ROUTE DE PARDAILLAN
P ardaillan avait quitté Blois au moment où Henri III s’en approchait, revenant d’Amboise où il avait été voir ses prisonniers, le cardinal de Bourbon, l’archevêque de Lyon, le duc de Nemours, frère utérin des Guise, le jeune prince de Joinville, le duc d’Elbeuf, Péricard, secrétaire d’Henri de Guise, La Chapelle-Marteau, président du Tiers, Brissac et Bois-Dauphin. Car c’est là tout ce qu’on avait pu arrêter, les autres ligueurs ayant eu le temps de prendre la fuite.
Le chevalier partait avec une sorte de joie d’allégement, sans remords. Il venait de régler deux vieux comptes de haines qui, pendant seize ans, avaient pesé sur sa vie : le duc de Guise tué en combat loyal, et Maurevert mort dans la forêt de Marchenoir.
Le froid était sec ; les sabots de son cheval résonnaient sur la terre durcie ; il trottait en fredonnant, souriant au ciel gris, aux arbres dépouillés, aux chevreuils qui le regardaient passer en allongeant leurs cous gracieux, aux corbeaux majestueux et rusés qui s’envolaient, à tous ces êtres animés ou inanimés qui étaient les vieux amis du coureur de route…
Il se retrouvait. Il renaissait. Il respirait à pleins poumons la joyeuse ivresse de s’en aller libre, indépendant de tout et de tous, au seul gré de sa fantaisie. Il écartait d’ailleurs avec soin toute pensée encombrante, refusait de songer à demain et prenait de l’heure présente tout ce qu’elle pouvait contenir de contentement.
Excitant donc parfois son cheval d’un appel de langue, il suivait la route qui de Blois allait à Beaugency, Meung et Orléans par la rive droite de la Loire. Arrivé à Orléans, Pardaillan se dirigea tout droit sur l’hôtel d’Angoulême, et ce fut avec un battement de cœur qu’il approcha de la maison amie, où il allait revoir ce petit duc auquel il s’était si bien attaché, cette Violetta qu’il avait arrachée à la mort, et cette poétique Marie Touchet, à laquelle il rattachait le charme de ses souvenirs de jeunesse.
Le logis était vaste et entouré d’un
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