Faux frère
renversé une lampe à huile ou une chandelle, ou encore une étincelle a pu jaillir de la cheminée...
— Et vous n’avez rien remarqué de suspect ?
— Non, rien du tout. Je ne peux vous en dire plus. Adam of Warfield, lui, pourrait vous aider.
Sur ce, l’intendant fit volte-face et détala comme un lièvre.
Corbett et Cade échangèrent un regard interrogateur, puis regagnèrent le domaine de l’abbaye en repassant parla poterne, le shérif adjoint s’esclaffant devant l’imitation que faisait Ranulf de l’accent et des tics de William Senche.
Devant eux se dressait l’imposante église abbatiale avec ses gargouilles ricanantes et ses visions infernales. Corbett contempla, fasciné, les scènes terrifiantes qu’avait si habilement représentées le sculpteur. Aux pieds du Christ en majesté rendant son Jugement, les damnés étaient entraînés par d’effroyables démons vers un gigantesque chaudron d’huile bouillante où d’autres diables piquaient des malheureux de leurs lances et de leurs épées comme des cuisiniers tâtant la viande en train de cuire. Corbett entendit du bruit tout à coup et regarda, à sa gauche, la vaste étendue déserte du vieux cimetière. L’herbe et le chanvre avaient bien cinq pieds de haut, mais Corbett aperçut un jardinier âgé s’efforçant de son mieux de nettoyer le pourtour des tombes.
— Eh bien, l’ami, s’exclama-t-il ; tu en as du pain sur la planche !
L’homme tourna vers Corbett des yeux larmoyants et des joues maculées de terre.
— Pour sûr ! répondit-il avec l’accent du terroir, en tapotant une pierre tombale en piètre état. Mais mes clients ne protestent guère !
En souriant, Corbett leva les yeux vers le bâtiment circulaire qui dominait le cimetière.
— C’est le chapitre ?
Cade fit signe que oui.
— Et la crypte se trouve en dessous ?
— Oui.
Corbett parcourut du regard les contreforts massifs et l’impressionnant mur de granit.
— Expliquez-moi à nouveau comment on peut entrer dans la crypte.
— Eh bien, derrière le chapitre se trouve le cloître, mais on ne peut pénétrer dans la crypte que par une porte située dans le coin sud-est de l’église abbatiale. Comme je vous l’ai dit, des sceaux y ont été apposés. On descend ensuite par l’escalier raide d’un passage voûté et bas de plafond. Les marches ont été démolies, et pour accéder à la crypte, où est entreposé le Trésor, il faut utiliser des échelles spéciales.
Cade poursuivit, les paupières rétrécies :
— Je vous ai déjà raconté tout cela, alors pourquoi cet intérêt subit ?
— Je pensais au message laconique et difficile à dé... crypter du père Benedict.
Corbett sourit à son jeu de mots.
— Je me demandais s’il avait en tête un avertissement concernant le Trésor ? Il avait peut-être été témoin de quelque chose.
Cade hocha la tête :
— J’en doute fort. La porte est scellée, barrée et verrouillée, et même si vous l’ouvriez, il vous faudrait le matériel d’un siège pour atteindre le centre de la crypte.
En outre, je ne crois pas que les bons frères laisseraient quiconque en sortir, chargé des sacs du Trésor.
Corbett en convint à regret et ils se dirigèrent vers les principaux bâtiments abbatiaux en coupant par le domaine. Un frère convers aux yeux chassieux et à la démarche traînante s’occupa de leurs chevaux, puis les conduisit, par des couloirs dallés, à la cellule d’Adam of Warfield. Corbett prit immédiatement le sacristain en grippe. Cet homme de haute taille, aux traits anguleux et accusés, avait un long nez crochu et une bouche en cul-de-poule. Avec son regard fuyant sous ses sourcils broussailleux, Corbett ne le trouva pas très à son aise. Cela dit, Warfield leur fit bon accueil, avec de petits gestes délicats de ses doigts fuselés. Il leur offrit pain et bière, mais Corbett les refusa malgré les protestations étouffées de Ranulf. Les trois visiteurs, assis sur un banc comme des écoliers, se sentaient assez gênés en face du sacristain qui, lui, était perché sur un haut tabouret, les mains enfouies dans les larges manches de son habit noir. Trop indolent, songea Corbett, trop placide, pas le genre d’homme à mettre à la tête d’une grande abbaye. Au début, ils échangèrent des banalités. Corbett demanda des nouvelles du vieil abbé qui était virtuellement grabataire et exprima ses condoléances devant la mort récente du
Weitere Kostenlose Bücher