Faux frère
hommes. Leur corps est pourri jusqu’à la moelle.
Corbett eut une mimique désapprobatrice.
— Permettez-moi de ne pas être de votre avis !
— Comment cela ? Les hommes en ont bien obtenu avantage !
— Et elles ont bien obtenu avantage des hommes ! Même si, quand les hommes avaient le choix, elles, elles ne l’avaient pas, je suppose !
Lady de Lacey lui lança un coup d’oeil acéré.
— Ce sont ces soi-disant « braves gens » qui ont profité de ces femmes, poursuivit Corbett. D’honnêtes sujets, des bourgeois qui siègent à des conseils, participent aux processions de leur guilde, vont à la messe le dimanche, bras dessus, bras dessous avec leur épouse, précédés par leurs enfants qui gambadent joyeusement.
Il haussa les épaules.
— Ces hommes-là sont des dissimulateurs et leur mariage est une farce.
— Comme la plupart des mariages, rétorqua Lady de Lacey. Une femme ne vaut guère plus qu’un meuble, une terre, un bien, un cheval, une vache, un bout de rivière.
Corbett, dubitatif, pensa à Maeve.
— Pas toutes !
— C’est ce que dit l’Église. Gratien écrit que les femmes sont les sujettes de leurs maris. Leur propriété !
— La loi anglaise, contesta Corbett, stipule également qu’un homme convaincu de trahison doit être pendu et écartelé, mais cela ne signifie pas qu’elle a raison.
Il poursuivit avec tact :
— Vous devriez lire saint Bonaventure {25} , Madame. Lui dit qu’entre mari et femme devrait exister la plus belle amitié du monde.
— Certes, quand les poules auront des dents ! lui décocha-t-elle en s’éloignant, un grand sourire éclairant ses traits austères.
Corbett la regarda bavarder gentiment avec l’une des vieilles sorcières.
— Elle est impressionnante ! murmura Ranulf.
— Comme la plupart des saints ! Allons-nous-en !
Cette nuit-là, étendu auprès de Maeve endormie dans leur grand lit à baldaquin, Corbett fixait le tissu sombre du ciel de lit. Malgré sa fatigue, il n’avait cessé d’examiner les problèmes sous tous les angles, mais bien qu’il eût des soupçons, il n’avait pu tirer aucune conclusion définitive, ni cerner une preuve un tant soit peu solide. Il se rappela Ste Catherine et les deux vieilles putains, la sollicitude et la gentillesse de Lady de Lacey envers elles et sa propre allusion à l’amitié profonde qui se devait d’exister entre époux. Il jeta un coup d’oeil à Maeve qui dormait du sommeil du juste. « Est-ce vrai ? » se demanda-t-il. Étrange. Il ne cessait de se rappeler sa première femme, Mary. Ses souvenirs s’étaient faits plus précis depuis sa rencontre avec Lady Neville. Il ferma les yeux ; il ne pouvait se permettre de s’engager dans cette voie ; il fallait oublier le passé. Il se mordilla les lèvres et se demanda ce qu’il ferait lorsque cette enquête serait finie. Il avait vu, au premier chef, la saleté et l’abjection des prostituées. Peut-être devrait-il agir au lieu de traverser la rue, le nez pincé ? En France, songea-t-il, on essayait au moins de contrôler la situation : un officier, le consul des Ribaudes, imposait un semblant d’ordre et assurait une protection – limitée, certes ! — aux filles des rues. À Florence, le système était plus radical : les lupanars relevaient de la municipalité qui nommait des clercs travaillant à « l’office de la nuit ». Mais l’Église ne pouvait-elle pas faire autre chose que condamner ? Construire des hôpitaux, des refuges, par exemple ? Il devrait suggérer au roi de prendre certaines mesures, mais lesquelles ? L’esprit ensommeillé, il passa en revue diverses possibilités.
Au moment où il cédait au sommeil, Ranulf et Maltote descendaient l’escalier à pas de loup, les bottes entourées de chiffons. Les deux serviteurs déverrouillèrent une porte et sortirent furtivement dans la rue plongée dans les ténèbres. Tout en s’avançant en catimini dans Bread Street, Ranulf ordonnait au palefrenier de s’abstenir de jurer et de bougonner. Il avait caché une brassée de roses dans la fissure d’un mur, roses qu’il avait dérobées dans le jardin d’un marchand de West Cheap, et il poussa un soupir de soulagement en constatant qu’elles étaient toujours là. Ils s’enfoncèrent dans des nielles, passages et autres venelles pour arriver aux anciennes fortifications, avant de longer la prison de la Fleet et de déboucher dans Shoe Lane où habitait Lady
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