Faux frère
Mary Neville. Ranulf interdit à Maltote d’émettre le moindre murmure. Il appréhendait l’arrivée du guet et sa main ne quittait pas son poignard, protection utile contre les tire-laine, coupe-bourses et mendiants de tout acabit qui rôdaient en quête de victimes.
Il s’arrêta devant une maison où ne brillait aucune lumière. Renouant avec son passé de cambrioleur, il se hissa précautionnement le long du mur, en trouvant des prises dans le plâtre blanc, maintenu par des lattes, et en prenant appui sur les poutres noires. D’une voix étouffée et sifflante, il enjoignit à Maltote de grimper sur le rebord d’une fenêtre basse et de lui faire passer les roses qu’il tenait d’un air de chien battu. Ce fut de la belle ouvrage : mettant à profit la moindre irrégularité et fente du mur, Ranulf entoura d’une guirlande de roses la fenêtre de ce qu’il jugeait être la chambre de Lady Neville. Quelques fleurs allaient se détacher, mais Ranulf en avait pris assez pour éblouir et piquer la curiosité du seul amour de sa vie. Il se laissa retomber dans la rue en riant silencieusement et se hâta de regagner Bread Street, Maltote sur ses talons.
Dans un autre quartier de la capitale, Hawisa, jeune courtisane fraîchement débarquée de Worcester, remontait Monkwell Street, près de Cripplegate, d’un pas mal assuré. Elle avait passé la soirée, dans une arrière-boutique, à distraire un marchand entre deux âges, dont l’épouse et la famille se trouvaient en pèlerinage à St Thomas de Cantorbéry. Soulevant le bas de son surcot lie-de-vin, elle s’appliquait à éviter les tas d’immondices, sursautant et gloussant de peur chaque fois que des rats détalaient dans leurs trous. Elle finit par arriver à la dernière maison, accotée à l’ancienne muraille qui s’écroulait. Elle descendit au sous-sol où le marchand de laine lui avait loué une chambre. Elle était épuisée et heureuse d’être chez elle, dans cette pièce qu’elle avait décorée et meublée à sa guise. Elle mit la clé dans la serrure, la tourna, puis se figea en entendant du bruit derrière elle. Un rat ? Ou bien quelqu’un ? Elle s’immobilisa, convaincue que c’était ce même pas qui avait résonné dans la rue un peu plus tôt. Elle recula et scruta l’escalier sombre. Rien. Elle revint et s’efforça de manoeuvrer la clé, mais sursauta en sentant qu’on lui effleurait l’épaule.
— Hawisa, chuchota-t-on. Je t’attendais !
Hawisa leva la tête, un sourire aux lèvres, au moment où le couteau du tueur lui tranchait la gorge en un long élan de mort.
CHAPITRE IX
Corbett prenait son petit déjeuner dans la cuisine, dès potron-minet, lorsque la maison entière fut réveillée par des coups violents à la porte. Il alla ouvrir précipitamment, se doutant déjà de ce qu’il allait entendre. Cade se tenait sur le seuil, mal rasé et cheveux en bataille.
— On a commis un autre crime, n’est-ce pas ? avança Corbett à mi-voix.
— Oui, il y a quatre heures environ. Une prostituée du nom de Hawisa a été assassinée à la porte de son logement.
Corbett le fit entrer.
— Les morts attendront, murmura-t-il. Avez-vous déjeuné ?
Cade répondit que non. Corbett le précéda dans la cuisine et l’installa à une table. Il poussa vers lui une coupe de vin, de la viande salée sur un tranchoir {26} et des boules de pain noir, juste sorties du four. Cade engloutit sa nourriture et dévora comme quatre, sous les yeux de Corbett qui l’observait avec curiosité. Malgré sa faim, l’officier paraissait bouleversé.
— Connaissiez-vous Hawisa ? demanda Corbett tandis que Ranulf et Maltote, les yeux bouffis de sommeil, se glissaient discrètement dans la pièce.
Le shérif adjoint leva la tête, sa bouche entrouverte pleine de pain et de viande. Corbett l’avait pris par surprise.
— Vous la connaissiez, n’est-ce pas ?
Cade opina.
— Oui, marmonna-t-il. Mais ça, ce sont mes affaires !
Ranulf et Maltote s’assirent sur le banc, près de lui.
— Un moment, Messire Cade. Ranulf, suis-moi ! J’ai deux mots à te dire.
Dans le couloir, Corbett empoigna son serviteur par son surcot.
— Tu es sorti hier soir, hein ?
— En effet, mon maître, mais, pour reprendre les paroles de Messire Cade, ce sont mes affaires.
— Ce sont les miennes, aussi, quand tu laisses la porte déverrouillée ! rugit Corbett. J’ai assez d’ennemis ici sans attirer tout ce que
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