Faux frère
recoin.
— Installe-toi sur ce tabouret ! Aubergiste, qu’as-tu de bon aujourd’hui ?
— De la tourte au poisson.
— Le poisson est frais ?
— Il nageait hier encore !
Corbett apprécia la repartie :
— Une large portion pour mon ami, ici, et du vin blanc !
Puddlicott esquissa un sourire et regarda l’aubergiste s’éloigner en hâte comme s’il allait servir, non pas un larron condamné à mort, mais un hôte d’importance. Ils attendirent son retour en silence. Puis Puddlicott dévora sa nourriture à belles dents et Corbett ne put s’empêcher d’admirer son sang-froid. À la fin, le prisonnier vida son gobelet et demanda une nouvelle rasade.
— Profitons-en ! dit-il avec un rictus avant de recouvrer son sérieux. Oui ! J’ai une faveur à vous demander, Messire !
— Je ne suis pas obligé de te l’accorder !
— J’ai un frère, enchaîna l’escroc. Il est simple d’esprit de naissance. Les frères de St Antoine s’occupent de lui. Donnez-moi votre parole qu’il sera toujours bien soigné. Une rente royale, et je vous raconte tout ce que je sais.
Il souleva son gobelet :
— Puisqu’il me faut mourir, j’aimerais que ce soit rapidement. Richard Puddlicott n’est pas venu dans ce bas monde pour être la risée de la populace londonienne.
— Je t’accorde ces deux faveurs. Bon, est-ce toi qui as dérobé l’or et l’argent ?
— Bien sûr ! Adam of Warfield et l’intendant Senche sont mes complices. William n’est qu’un ivrogne, mais Adam est une vipère sans scrupules ! J’espère qu’il se balancera au bout d’une corde à côté de moi !
— Certes !
— Bien ! Plus on est de fous, plus on rit !
Il sirota sa boisson.
— Il y a dix-huit mois, je me trouvai en France après un court séjour à Westminster où j’avais aidé William Senche à... débarrasser le réfectoire d’une partie de l’argenterie de l’abbaye. Oh non, je ne suis pas un voleur, poursuivit-il avec une grimace, j’ai simplement du mal à discerner le tien du mien. J’essayai le même tour à Paris chez les frères minimes. Je fus arrêté et condamné à la pendaison. Je confiai à mon geôlier que je connaissais un moyen d’enrichir le roi de France aux dépens d’Édouard d’Angleterre.
Puddlicott fit la moue :
— Vous n’êtes pas né de la dernière pluie, Messire ! Vous savez qu’un homme acculé fait feu de tout bois pour s’en sortir. Je croyais que cela n’aurait pas de suite, mais la veille du jour prévu pour mon exécution, de Craon et le garde du Sceau privé, Guillaume de Nogaret, vinrent me voir dans mon cachot. Je leur révélai mon plan, et hop ! on me libéra.
— Tu aurais pu te rétracter, l’interrompit Ranulf. Et filer en douce.
— Pour aller où ? rétorqua Puddlicott. En Angleterre ? Comme un miséreux, un va-nu-pieds ? Non ! dit-il avec une mimique de dédain. De Craon menaça de me pourchasser si je ne tenais pas parole. De plus, j’avais des griefs personnels envers le roi Édouard. Oh, à propos, Sir Hugh ! De Craon vous déteste et a la ferme intention de régler ses comptes avec vous, tôt ou tard !
— Jusqu’ici, tu ne m’as rien appris que je ne sache déjà, lança sèchement Corbett.
— Bon, je suis revenu en Angleterre. Je me suis teint en brun et ai laissé pousser ma barbe. Puis j’ai organisé les festivités à l’abbaye.
— Pourquoi ?
— Adam of Warfield est plus lascif qu’un bouc. Il a un faible pour les prostituées et la bonne chère bien arrosée. L’intendant Senche peut être dévoyé pour un pichet de vin. Donc, je les ai soudoyés, tous les deux. Je leur ai dévoilé mon plan. Le cimetière fut déclaré, si l’on peut dire, inutilisable. J’y ai semé du chanvre pour ajouter aux mauvaises herbes : ça pousse vite et ça dissimulait mes activités.
— Tu creusais le tunnel la nuit ?
— Généralement, mais aussi pendant la journée. C’était un plan remarquable, Messire. Personne n’aime fréquenter les cimetières la nuit, ni même le jour d’ailleurs. J’ai pu ainsi progresser aussi vite que je l’ai voulu grâce à la protection de Warfield et de Senche.
Il haussa les épaules.
— Vous connaissez la suite. Ce qui m’intéressait, c’étaient les pièces d’or. Warfield prit l’argenterie, l’imbécile ! Moi, j’ai chargé et caché les sacs dans une vieille charrette à ordures. Vous l’aviez deviné, n’est-ce pas ?
— Oui.
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