Faux frère
n’était pas encore levée, mais les marins grimpaient déjà dans le gréement pour larguer la voile.
— Allons-y ! cria Corbett.
Cade, Ranulf et lui menèrent la charge sur les pavés du quai. La passerelle fut prise d’assaut. Deux soldats, portant les armoiries du roi de France, essayèrent bien de leur barrer la route, mais ils furent vite bousculés par le flot des archers et des hommes d’armes anglais qui s’abattit sur le navire. Les marins, surpris dans les haubans, furent forcés de descendre et on désarma ceux capturés dans l’entrepont.
Quelques minutes suffirent pour que le cogghe fût aux mains des Anglais et que les Français fussent réduits au rôle de spectateurs. La petite cabine de la poupe s’ouvrit sur de Craon qui, suivi de De Nevers, traversa le pont en trombe pour rejoindre Corbett et Cade au pied du grand mât.
— C’est un scandale ! hurla-t-il. Nous sommes les envoyés accrédités du roi Philippe de France et ceci est un bâtiment français !
Il désigna la large bannière flottant à la poupe.
— Nous voguons sous la protection de la Maison du roi !
— Peu me chaut que vous voguiez sous la protection du roi de France ou celle du Saint-Père ! lui lança Corbett. Vous avez encore manigancé un de vos sales tours, de Craon ! J’exige que vous restituiez l’or de notre souverain ! Et sur l’heure !
Il vit une lueur d’amusement dans le regard du Français.
— Vous nous accusez de vol ?
— Oui !
— Vous en répondrez !
— J’en répondrai, et de plus d’une façon, monsieur {32} !
Corbett se tourna vers Cade :
— Fouillez le navire !
Le shérif adjoint lança des ordres et, malgré les protestations de De Craon, les soldats anglais s’acquittèrent de leur tâche avec détermination ; certains mirent la cabine sens dessus dessous, mais en remontèrent bredouilles, la mine sombre. D’autres furent envoyés dans la soute. Corbett ne quittait pas de Craon des yeux : le Français, bras croisés, tapait impatiemment du pied sur le pont. Le clerc évitait délibérément de regarder de Nevers, mais indiquait discrètement à Ranulf où se poster. Les hommes d’armes remontèrent de la soute.
— Il n’y a rien en bas ! déclarèrent-ils. Seulement des pièces de drap et des tonneaux de vivres.
Corbett maîtrisa sa panique : il sentait le désarroi gagner Cade et les autres officiers. Il était convaincu que l’or et l’argent se trouvaient à bord. Mais où ?
— Messire !
— Silence, Ranulf !
Son serviteur lui agrippa le bras.
— Messire ! Je connais bien ces quais : j’y venais souvent, autrefois. Ce bâtiment est prêt à appareiller, n’est-ce pas ? Les gabiers larguaient la voile, et ils m’ont tout l’air de vouloir s’en aller rapidement.
— Et alors ?
— L’ancre devrait être levée. Or elle ne l’est pas !
Corbett tourna le dos à de Craon.
— Qu’est-ce que tu racontes, Ranulf ?
— Ils n’ont pas hissé l’ancre, mon maître !
Corbett s’adressa à Cade, un sourire aux lèvres :
— Que trois hommes s’assurent que l’ancre de ce bateau est en bon état ! Qu’ils en vérifient la chaîne !
De Craon pâlit et sa mâchoire s’affaissa. De Nevers se dirigea vers le bastingage mais Corbett le saisit par le bras.
— Messire Puddlicott, ordonna-t-il d’une voix sifflante, veuillez rester où vous êtes !
— Puddlicott ? s’étonna de Craon.
— Oui, monsieur ! Un criminel anglais recherché par les shérifs de Londres et de divers comtés pour une liste de méfaits aussi longue que le bras !
De Nevers essaya de se dégager mais Corbett, d’un claquement de doigts, signifia à deux soldats de le tenir solidement. Pendant ce temps, Cade avait choisi ses plongeurs. Trois archers ôtèrent salades {33} et baudriers, se débarrassèrent de leurs bottes et se coulèrent comme des rats dans l’écume sale du fleuve. Ils disparurent sous l’eau, mais firent rapidement surface en criant victoire.
— Des sacs ! beugla l’un d’eux en crachant et en s’ébrouant. De gros sacs de pièces sont attachés à la chaîne !
— Que l’on fasse venir une embarcation ! ordonna Corbett. Que l’on récupère les sacs et qu’on les transporte dans des chariots, sous bonne garde, jusqu’au palais de Sheen !
Cade s’éloigna rapidement, criant ses instructions. Corbett regarda ses adversaires :
— Monsieur de Craon, je vais vous laisser pour
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