Favorites et dames de coeur
précisa-t-elle, car elle avait parfaitement compris sa machination.
Elle eût pu aussi ajouter un second déplaisir, celui de causer de la tristesse au roi, bien qu’elle ait avoué au père Caussin qu’elle le trouvait « bizarre et inégal ». Voulant la conserver près de lui, Louis XIII lui aurait proposé de l’enlever et de se réfugier avec elle à la campagne pour y filer le parfait amour ; il se serait même permis un geste déplacé à son égard, chose étonnante lorsqu’on connaît sa réserve. Finalement, le roi se résigna à la perdre, mais lui demanda de différer son retrait du monde jusqu’à son propre départ aux armées (19 mai 1637).
Le grand saut
Le père Caussin avait plusieurs fois tenté de dissuader Mlle de La Fayette de prendre le voile, d’autant qu’elle ne faisait pas mystère de sa destination : le Carmel du faubourg Saint-Jacques. Il lui représenta l’extrême dureté de la règle carmélitaine, surtout pour une jeune fille habituée au luxe de la cour. Il ne la convainquit qu’à moitié : Louise-Angélique accepta de renoncer au Carmel, mais lui signifia l’irrévocabilité de sa vocation. Elle opta en définitive pour le couvent de la Visitation, rue Saint-Antoine, créé peu auparavant sous l’égide de Jeanne de Chantal 96 .
Louise-Angélique fit ses adieux à Louis XIII et Anne d’Autriche comme convenu, à Saint-Germain-en-Laye. Le roi versa d’abondantes larmes, après quoi il monta en carrosse et rejoignit son armée. Le voyant s’éloigner, sa chaste favorite eut ces mots révélateurs : « Hélas, hélas, je ne le reverrai plus ! » Puis elle partit pour son couvent parisien (19 mai 1637).
Louis XIII vint la visiter de temps à autre au parloir, comme n’importe lequel de ses sujets : jamais il n’usa de son privilège royal de franchir la clôture. Peut-être conseillée par le père Caussin, Mlle de La Fayette essaya vainement de prévenir le monarque contre les actions du cardinal, qui affrontait la catholique Espagne avec l’aide des protestants allemands. Louis ne la suivit pas et le père Caussin fut exilé, histoire de lui apprendre à se mêler de ses affaires et à garder pour lui ses sentiments politiques. Elle eut plus de chance sur le plan intime, encourageant le roi à se réconcilier avec Anne d’Autriche, ne serait-ce que pour donner un dauphin à la France (novembre 1637). De cette réconciliation naquirent le futur Louis XIV (1638) et son frère cadet Philippe d’Orléans (1640). Louise-Angélique prononça ses vœux définitifs un an après son entrée au couvent (mai 1638). Elle devint la sœur, puis la mère Angélique.
Supérieure de la Visitation de Chaillot depuis 1657, elle mourut en 1665.
Louise-Angélique de La Fayette fut probablement la moins coûteuse des favorites royales. Comme sa rivale Marie de Hautefort, elle nourrissait un idéal élevé.
ANNEXE
Un fâcheux « petit oubli »
Au cours d’une conversation vespérale avec le roi, la reine et les demoiselles d’honneur, Louise-Angélique « rit si fort qu’elle pissa sous elle, si bien qu’elle fut longtemps sans oser se lever », selon Pierre de La Porte 97 . Après le départ du roi, elle fut contrainte de se déplacer, laissant voir « une grande mare d’eau : “C’est La Fayette qui a pissé !” annonça hautement la reine ». Une autre fille d’honneur vola à la rescousse de la coupable et déclara que c’était du jus de citron. Anne d’Autriche ordonna à La Porte de flairer la mare suspecte ; son témoignage étant contraire, la reine décida une inspection de propreté de ses filles, mais elles se réfugièrent toutes dans leurs chambres pour y échapper. La mésaventure circula au vif déplaisir du roi :
Petite La Fayette
Votre cas n’est pas net ;
Vous avez fait pissette
Dedans le cabinet
À la barbe royale
Et même aux yeux de tous,
Vous avez fait la sale
Ayant pissé sous vous.
Seul un témoin de la scène avait pu écrire ce petit couplet anonyme. La remarque peu charitable de la reine témoigne que la vie de cour sous Louis XIII présentait encore des côtés assez frustes, et que certains gros mots n’avaient pas à l’époque le sens péjoratif ou familier qu’on leur prête aujourd’hui.
ANNEXE
Une gestionnaire malhabile
Louise géra mal les sommes exigées par le coûteux train de vie d’une favorite. Bien que le roi eût payé le duché de Vaujours, elle dut emprunter 20 000 livres en 1668.
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