FBI
DeLoach affirme que Martin Luther King a fait profil bas, retirant pratiquement toutes les accusations qu’il avait proférées par le passé. Un des assistants du révérend, Andrew Young, se souvient que Hoover a parlé les trois quarts du temps, pontifiant sur le Bureau, sa vie, son œuvre. Les deux parties semblent néanmoins d’accord : de part et d’autre, le jeu est calmé. King n’a pas demandé d’excuses pour avoir été traité de « menteur ». Et Hoover n’en a pas présenté.
Martin Luther King sort-il du FBI rassuré sur les intentions du Directeur ? On peut le supposer. Quelques jours plus tard, autre bonne nouvelle : le Bureau annonce l’arrestation de dix-neuf membres du Ku Klux Klan responsables présumés de l’assassinat des trois militants du CORE, à Philadelphia, Mississippi. Le révérend peut dormir sur ses deux oreilles : le directeur du FBI semble s’être calmé. Martin Luther King ignore que, dans l’ombre, un responsable du FBI trame un complot destiné à l’abattre.
Au soir du 20 novembre 1964, soit deux jours après que Hoover eut traité Martin Luther King de « plus grand menteur des États-Unis », William C. Sullivan, responsable de la division « Domestic Intelligence », assis à son bureau, rédige une lettre anonyme. Il se sert d’une vieille machine à écrire spécialement trafiquée pour rendre impossible toute identification, dans laquelle il a glissé une feuille de papier qu’on ne peut pas davantage identifier. William C. Sullivan écrit une première phrase : « King, lis dans ton cœur. Tu sais que tu es un escroc. »
Il a trouvé le ton. La suite est de la même eau. Des phrases volontairement maladroites, injurieuses, censées refléter la pensée d’un militant de base noir. La chute est digne du reste. S’il ne veut pas être démasqué, Martin Luther King a trente-quatre jours pour se tirer une balle dans la tête.
Il s’agit d’une lettre d’accompagnement. Elle est le complément d’une bande magnétique que lui a remise un des techniciens du laboratoire du FBI. Il s’agit de morceaux choisis des moments les plus croustillants des parties de jambes en l’air du révérend, enregistrées par le FBI. William C. Sullivan n’est pas peu fier de son travail. Il l’a même fait écouter à Cartha DeLoach. C’est du grand Sullivan : jamais esprit tortueux n’a conçu d’opération « Cointelpro » aussi ignoble.
Le 21 novembre, Sullivan remet le paquet contenant la bande et la petite note à l’un de ses hommes qui se rend à Miami. À sa descente d’avion, l’agent du FBI va au bureau de poste et expédie le paquet au bureau de Martin Luther King, à Atlanta.
Quand le colis arrive, le révérend est à Oslo pour recevoir son prix Nobel. Coretta, l’épouse de Martin Luther King, et ses plus proches collaborateurs écoutent la bande. À son retour d’Oslo, le révérend Ralph Abernathy la fait écouter à King. Après avoir entendu une minute de cris d’extase et de chuchotements entrecoupés d’ahanements, Martin Luther King dit :
« Ça va, j’ai compris. Pas la peine d’aller plus loin. Ça va être comme ça pendant des heures. »
Après un bref silence, le révérend Abernathy lâche :
« J. Edgar Hoover.
– Qui d’autre ? Cette fois, le Bureau est tombé bien bas. »
On ne saura sans doute jamais si William C. Sullivan a agi sur ordre ou de sa propre initiative. Dans ses mémoires, il affirme avoir envoyé la bande et la lettre de menaces sur instruction du numéro trois du Bureau, Al Belmont. Cartha DeLoach est d’un avis contraire : « La bande et la lettre n’ont été envoyées ni par Hoover ni par le FBI, mais par Sullivan. Nous avons enquêté. Nous avons trouvé la preuve que Sullivan a agi en dehors de mon autorité, comme de celles de Tolson et de Hoover. » Ancien responsable de la division « Inspection » du FBI, Ed Miller est de ceux qui ne croient pas à la version de Sullivan. J. Edgar Hoover lui a parlé de l’affaire, une seule fois, en lui disant : « Quand je commets des erreurs, je veux que ce soient mes erreurs, je ne veux pas que d’autres aient commis des erreurs à ma place. » Et Ed Miller de conclure : « Sullivan s’est trompé à la place de Hoover… »
Si jamais l’opinion venait à apprendre ce qui s’était passé, le Bureau serait fort « embarrassé ». Le Directeur craignait aussi que le président Johnson n’en profite
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