FBI

comté de Cook. Énorme machine judiciaire, le comté de Cook ne compte pas moins de 350 juges. Depuis des années, le Bureau sait qu’un bon pourcentage de magistrats du comté sont à vendre ! Les estimations les plus optimistes parlent de 20 %. La première preuve concrète de la corruption des juges du comté remonte à 1976. Elle a été trouvée par l’Agent spécial William C. Megary lors de l’écoute d’une conversation téléphonique au cours de laquelle un avocat annonçait à son client qu’il allait acheter le juge chargé de son affaire. Contacté par le FBI, l’avocat a accepté de collaborer et a dressé la liste de tous les magistrats corrompus qu’il connaissait. « Mais nous ne sommes pas arrivés à trouver des preuves, précise William C. Megary. Contrairement aux hold-up, il n’y avait pas de témoins. La seule manière de prouver quoi que ce soit, c’était de monter une opération d’infiltration. L’avocat était prêt à nous aider, mais il ne voulait pas corrompre des juges… »
    Les agents du FBI ne renoncent pas. Les preuves de la corruption du système judiciaire s’accumulent. Un tueur à gages de l’« Entreprise », la mafia de Chicago, pourtant accusé par de nombreux témoins d’avoir commis un assassinat, est acquitté. À Washington, le nouveau directeur du FBI, William Webster, a donné pour consigne à ses agents de faire de la lutte contre la corruption une de leurs priorités. L’opération « Abscam » est déjà sur les rails quand les agents du FBI de Chicago envisagent de nettoyer les tribunaux du comté de Cook. Ils doivent multiplier les précautions. Non seulement le FBI dépend du Département de la Justice, mais le directeur du Bureau, Webster, est lui-même un juge. Informé du projet, celui-ci donne néanmoins sa bénédiction et demande à être tenu régulièrement au courant de l’évolution de la situation.
    Avant de lancer l’opération, il faut lui trouver un nom. Lisant la rubrique hippique d’un journal local, un des agents s’arrête sur le nom d’un cheval, Greylord. Un nom parfait pour ce type d’opération : greylord désigne en anglais la lourde perruque des juges britanniques ! Au début, William C. Megary et ses hommes envisagent d’ouvrir un cabinet d’avocats composé uniquement d’Agents spéciaux clandestins, chargés de corrompre les juges pris pour cibles. Mais ils renoncent vite à un projet jugé trop lourd : il faudrait des années pour que les faux avocats du FBI soient acceptés par le système. Trop compliqué et trop risqué. Au même moment, un Agent spécial apprend qu’un des substituts du procureur du comté de Cook songe à démissionner parce qu’il ne supporte plus la corruption ambiante. Il s’appelle Terry Hake et va conduire le FBI jusqu’au cœur d’un des systèmes les plus pourris du pays.
     
    Le 22 avril 1980, Terry Hake se rend au bureau du FBI de Chicago, au 219 South Deaborne, pour y rencontrer le SAC James Ingram. Il tombe sous le charme de ce vieux gentleman du Sud à l’accent traînant du Mississippi. « Ses manières et son savoir-faire m’ont mis à l’aise, se souvient Terry Hake, et m’ont donné envie de participer à l’opération. » Hake ignore que sous les manières policées et doucereuses du SAC se cache une volonté de fer, forgée dans la plus rude des opérations du FBI, « Mississippi Burning ».
    Au cours d’une réunion, Terry Hake s’inquiète : « On m’a dit que si jamais je participais à cette opération, je ne pourrais plus exercer ma profession d’avocat dans le comté de Cook pendant cinq ans… »
    Le procureur chargé du dossier le corrige : « Terry, si tu participes à cette opération, tu ne pourras plus jamais être avocat dans le comté de Cook ! »
    Pour quelqu’un qui n’a son diplôme de droit en poche que depuis deux ans, voilà qui peut faire reculer. Pourtant, le jeune homme accepte.
    Pourquoi Terry Hake jette-t-il ainsi sa carrière d’avocat aux orties ? Insouciance de la jeunesse ? Est-il attiré par le risque ? C’est une sorte de revanche : à sa sortie de la fac de droit, il s’était présenté pour devenir agent du FBI, mais avait été retoqué. C’est donc un Terry Hake à la fois effrayé et émoustillé qui accepte de devenir l’infiltré du FBI. Il a tout juste vingt-huit ans. Le Bureau lui donne une nouvelle identité à usage interne : pour le FBI, il est Leo Murphy. Il pense que sa mission