FBI

tabouret. Parfois, d’inquiétants individus franchissaient la porte de l’établissement. Le patron changeait alors d’attitude, se raidissait et devenait plus grave. Il les saluait d’un hochement de tête et attendait qu’ils s’attablent pour les rejoindre. « Il y avait quelque chose, chez ces gars-là, commente Danahy. Si vous étiez originaire de New York ou du Bronx, vous saviez immédiatement que ce n’étaient pas des enfants de chœur. C’étaient des mauvais, des vilains ! »
    Jack Danahy ne connaît pas le nom du propriétaire du bar, qu’il a depuis longtemps cessé de fréquenter. En revanche, en lisant le rapport, il reconnaît la description des lieux et celle de l’homme. Il apprend par la même occasion qu’il s’appelle Joe Valachi. C’est un mafieux new-yorkais qui s’apprête à faire son entrée tonitruante dans l’histoire du crime organisé, section « balances ». Ses révélations s’annoncent importantes, car il était l’un des soldats de prédilection du prétendant au titre de parrain des parrains, Vito Genovese.
    Joe Valachi a été emprisonné à Atlanta en compagnie de Vito Genovese. Les deux hommes sont tombés pour un trafic de drogue. Genovese se méfie de tout le monde ; il pense qu’il est tombé dans un piège tendu par son ennemi intime, Frank Costello. Il soupçonne Valachi de l’avoir trahi. Genovese met un contrat de 100 000 dollars sur la tête de Valachi. Il lui communique lui-même la sentence en l’embrassant devant les autres détenus : c’est le « baiser de la mort ». Joe Valachi panique et tue l’un de ses codétenus qu’il a pris pour un tueur à gages. N’ayant plus rien à perdre, il propose au FBI de révéler tout ce qu’il sait sur la Mafia.
    Les agents du FBI d’Atlanta ignorent tout de la mafia new-yorkaise ; ils prennent contact avec leurs collègues et leur demandent si l’affaire les intéresse. Jack Danahy réalise d’emblée l’importance de Joe Valachi. Les agents du bureau de New York vont enfin pouvoir prendre leur revanche, après le fiasco de l’opération « Capga » contre Bugsy Siegel et les parrains new-yorkais, il y a quinze ans.
    Jack Danahy obtient de son supérieur, Al Belmont, responsable de la division Enquêtes du FBI, que Joe Valachi soit transféré à New York. Le mafieux est d’abord placé sous bonne garde à Fort Dix (New Jersey), la plus grande base d’entraînement de l’armée américaine. Mais ce n’est pas pratique : chaque fois qu’il doit le voir, Danahy doit faire des heures de route. Alors l’agent du FBI contacte le shérif du comté de Weschester, au nord de New York. Il reste de la place dans une de ses prisons, elle est pour Joe Valachi.
    Quand Joe Valachi voit Jack Danahy dans la salle d’interrogatoire, il manque de tomber de son siège : « Fils de pute, tu es du FBI ! lui dit le mafieux. Et moi qui croyais que tu étais avocat… » Valachi lui demande des nouvelles de sa femme. Danahy sourit. Il y a longtemps que l’agent du FBI a compris que l’Italien avait craqué pour sa ravissante rouquine d’épouse, et que c’était l’unique raison de ses séjours prolongés à leur table.
    Pendant de longs mois, Jack Danahy et ses collègues cuisinent le mafieux. Pour la première fois dans l’histoire du crime organisé américain, un « homme d’honneur » est prêt à révéler publiquement ce qu’il sait de son organisation. Les agents du FBI mettent progressivement au jour ses secrets. Depuis 1920, date de son entrée dans la Mafia, Joe Valachi a travaillé sous les ordres des plus fameux parrains, du terrible Salvatore Maranzano à l’impitoyable Vito Genovese, sans oublier le redoutable Lucky Luciano. Joe Valachi n’est qu’un simple soldat, mais il est au courant de tous les assassinats, de tous les règlements de compte, de tous les trafics. Surtout, il est doté d’une mémoire phénoménale. Il se souvient des moindres détails, jusqu’au numéro d’immatriculation d’une voiture qui lui a permis de s’enfuir en 1923. Bref, c’est un client en or pour le FBI.
    « Valachi nous a donné deux choses que seul un mafieux de son âge et de son importance pouvait nous offrir : une histoire de la Cosa Nostra depuis les débuts, et un organigramme du Syndicat national du crime », résume Cartha DeLoach. Mieux, le 27 septembre 1963, Valachi vide son sac devant la commission d’enquête permanente dirigée par le sénateur McClellan. La