Fidel Castro une vie
Cardona. Il a beau, lui, avoir dénommé cette instance « le Conseil de la vermine » (
consejo de los
gusanos
), il veut à tout prix interdire que,métamorphosée en « gouvernement provisoire », l’équipe fasse appel aux États-Unis. Castro est décidé à défendre l’île à tout prix (il a déclaré accepter des « centaines de milliers de morts ») en faisant fond sur ses deux cent mille miliciens et vingt-cinq mille soldats.
L’ordre que donne Castro à ses sept (sept !) pilotes est d’attaquer à la roquette et à la bombe les
navires de débarquement
. Pour l’instant, qu’ils négligent le va-et-vient de péniches et canots, ainsi que les forces déjà débarquées : ça, c’est la cible des miliciens et des fantassins. L’urgence est de couper la brigade de ses approvisionnements en mer. Couverts par les T-33, les Sea Fury s’activent : Girón, il est vrai, n’est qu’à quarante minutes du terrain de San Antonio ; ils peuvent donc tenir l’air sans désemparer. Au milieu de la première matinée, ils ont coulé deux cargos : le
Houston
, qui s’échoue avec la réserve de carburant pour les chars débarqués et deux cents hommes à bord ; le
Rio Escondido
, qui explose, volatilisant les équipements médicaux. Dès lors, les autres navires s’éloignent. En outre, les B-26 des mercenaires, qui ont sept heures de vol aller et retour pour une demi-heure de bombardement, ne feront plus que des apparitions. L’aviation castriste va alors pouvoir se concentrer contre les bataillons débarqués : trois d’infanterie, un d’artillerie, un de blindés et un de paras.
À terre, le premier choc est soutenu par le bataillon de l’école des Cadets de la milice de Matanzas, commandé par José Ramón Fernández, dit « le Galicien » pour ses origines espagnoles. Cet officier avait été l’un des «
Puros
» qui avaient conspiré contre Batista – un profil très proche en somme de celui du commandant de la Brigade 2506, José Pérez San Román, qui, capitaine en 1958, avait tenté d’assassiner le tyran. Le petit millier d’élèves officiers de Matanzas sera le fer de lance des deux journées et demie épiques. Artisan de la victoire, le Galicien aura le bon goût de ne jamais s’en vanter. Cela lui vaudra une belle ascension dans l’appareil. (Girón sera d’ailleurs la troisième occasion, après la Moncada et la Sierra, d’entrer dans le saint des saints révolutionnaire.) Ainsi, Castro pourra, le temps ayant passé, s’attribuer tout le mérite de la victoire dans un livre de six cents pages reproduisant tous les ordres qu’il a donnés au fil de soixante heures « chaudes ».
Le commandant en chef Castro ne peut s’empêcher, le lundi 17 après-midi, de paraître sur le terrain. Une photo de lui, un fusil à la main gauche, cigare aux dents, entouré d’officiers et de soldats en armes, fait le tour du monde. Elle prouve que le chef n’a rien à craindre de ses troupes. L’invasion ne déclenchera pas de soulèvement, contrairement à ce qu’espérait la CIA. Le QG castriste a été choisi par Fidel lui-même : une sucrerie dénommée Australia, à trente kilomètres au nord de la baie des Cochons, juste en arrière du marécage de Zapata, là était le seul téléphone disponible.
Pour la vérité, le chef suprême est un peu dans les pattes du Galicien. Simplement l’éloigne-t-on des lieux où pleuvent les coups. Il devra, d’ailleurs, rentrer à La Havane : on signale en effet un autre débarquement. Fausse alerte ! Cependant, les cadets de Matanzas ont marqué des points. Ils se sont emparés, avant que n’y parviennent les paras de la Brigade 2506, d’un terrain d’aviation situé en arrière de Girón. Cette piste aurait dû permettre l’atterrissage de renforts et, surtout, de l’équipe de Miró Cardona – mais on n’en est déjà plus là ! Les miliciens ont aussi sécurisé, lundi à midi, El Palpite – clé de la route vers Matanzas et la capitale. Les anticastristes de la « plage rouge », environ quatre cents hommes, sont ainsi bloqués dans une poche, encore reliée à « la bleue » de Girón, mais désormais peu profonde.
La première nuit ne permet pas à la Brigade 2506 de se renforcer, vu l’éloignement des cargos. Fidel, au contraire, continue d’amener des miliciens, de La Havane pour l’essentiel. Il a vingt mille hommes sur les lieux, désormais. Et, surtout, ses tanks et son artillerie sont à pied d’œuvre. Le mardi 18 à
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