Fidel Castro une vie
l’aube, les révolutionnaires pilonnent Erneldo Oliva, commandant en second des
contras
, un Noir qui se bat tel un démon au fond de la baie. Ils s’efforcent par ailleurs de reprendre San Blas, un village stratégique capturé par les « mercenaires », en faisant donner les Staline-III. La bataille, à ce point, reste indécise : les anticastristes ont un meilleur armement, mais ils combattent à un contre vingt. Les castristes progressent non seulement par les routes mais aussi par les marais – ici pour contourner un nid de résistance, là pour amorcer une tenaille. Oliva propose que tous se dirigent vers l’Escambray, distant de cent kilomètres.San Román, le numéro 1, refuse, sûr que les États-Unis ne laisseront pas écraser « leurs » hommes.
À Washington, cependant, on a compris la gravité de la situation – en dépit des communiqués délirants du Comité révolutionnaire. À l’ONU, les choses tournent à la confusion des Américains. Kennedy, cependant, résiste aux conseillers le suppliant de ne plus ménager le soutien aérien d’abord si chichement accordé. Cela lui sera reproché comme cause de la défaite.
Le mercredi 19 est le dernier jour de l’aventure. La poche de Playa Larga (« rouge ») est évacuée par Oliva qui replie ses troupes vers Girón. Le cercle castriste se referme autour de la plage « bleue ». Il est évident que les Américains ne viendront plus à la rescousse. Prendront-ils le risque d’aider à l’évacuation ? Deux destroyers,
Eaton
et
Murray
, se présentent le 18 après-midi, apparemment pour ce faire. Des chars castristes tirent dans leur direction, sans peut-être les viser : le Galicien est conscient qu’un coup au but peut provoquer une réplique de la
Navy
et changer la face des choses. Aussi bien les mercenaires refusent-ils l’évacuation, écœurés d’avoir été lâchés, et les navires rebroussent chemin. Les
contras
prennent la direction des marécages, après avoir saboté leur matériel. Avant le crépuscule, les combats seront terminés. Castro restera à diriger la traque. La dernière radio antifidéliste se taira le jeudi, à 3 heures du matin.
On compte les morts. La brigade en a eu cent quatorze ; les castristes en déplorent officiellement cent soixante et un ; sans doute trois fois plus. Mais les assaillants survivants sont presque tous capturés. Parmi eux figure la quasi-totalité des chefs – et, en prime, le fils de Miró Cardona. Mille cent quatre-vingt-trois sont pris, sur un total de mille cinq cent quarante-trois enrôlés, dont environ mille trois cents ont effectivement combattu.
La Révolution ne brutalise pas les prisonniers. Cela ne la dispensera pas de les humilier. Castro les inspecte sous l’œil des caméras. Puis il les interroge par petits groupes, plusieurs soirs de suite, devant des centaines de milliers de téléspectateurs. Les médias montent en épingle les quelques cas de « fils de famille ». On insiste aussi sur le côté anormalement « catho »,compte tenu de la sociologie de Cuba, des mercenaires : c’est là un trait qui devait beaucoup à la CIA, convaincue sans doute d’être ainsi dans la note d’un pays latin ; le choix de Manuel Artime comme « commissaire politique » de la brigade participait de la même inspiration. L’enquête menée sur chacun des détenus individualise une douzaine de criminels batistiens. Ils seront jugés, fusillés pour cinq d’entre eux, les autres condamnés à de lourdes peines de prison. Le dernier sera libéré près d’un quart de siècle plus tard.
Pour le gros de la troupe, Fidel formalise, en mai, une offre de rançon, qu’il qualifie d’« indemnisation » pour les dommages subis par Cuba. Il échangera « le lot complet », c’est son mot, pour cinq cents « bulldozers ou tracteurs » : l’équivalent de cinq cent mille dollars pour les trois grands chefs, San Román, Oliva et Artime, cent mille pour les fils de riches et les prêtres, de cinquante à vingt-cinq mille pour le tout-venant. Les tractations dureront plus d’un an et demi. Un comité, présidé par Eleanor Roosevelt, la veuve du grand président démocrate, se constitue sous l’appellation « Des tracteurs pour la paix ». Fidel se réjouit d’un tel parrainage. Mais, aux États-Unis, on a cru que Castro voulait cinq cents tracteurs
agricoles
. Or le
Lider
avait en l’esprit des engins de travaux publics, dix fois plus chers. Les négociations, menées par une
Weitere Kostenlose Bücher