Fidel Castro une vie
que désormais, à la différence du passé, ce sont les ruraux, c’est-à-dire près de la moitié de la population, qui ont à leur suffisance. Et, plus que tout, la Révolution a mis fin au chômage saisonnier de quatre cent mille
macheteros
– un scandale qui a été la justification du castrisme. En ville, au contraire, certaines mesures révolutionnaires affectent aussi des secteurs « humbles » (le mot, pudique, est de Fidel). À la différence de pays du tiers-monde, où beaucoup crèvent de faim à côté d’autres qui cherchent à maigrir, tous les Cubains « doivent apprendre à se serrer la ceinture » : c’est Guevara qui le dit. Nommé le 23 février ministre de l’Industrie, il devient responsable de cet immense secteur (environ cent cinquante mille salariés) qui a été nationalisé, et qui représente près des quatre cinquièmes de la capacité productive secondaire de l’île. Les mois précédents, tout cela, de même que l’agriculture socialisée, avait été géré par l’Inra – c’est-à-dire par Castro. Or, le style de Fidel, c’est de fondre sur tel détail, non de s’atteler au quotidien ardu. La gestion de l’économie aura donc, avec le Che – travailleur méthodique encore qu’esprit dogmatique –, un responsable d’un autre type, mais dont le programme est loin d’apparaître clairement.
La
zafra
de 1961 s’annonce bien : elle sera bonne, en effet, avec six millions huit cent mille tonnes. Aucune autre ne sera aussi substantielle durant des années. Guevara, on l’a dit, songe à en finir avec la « tyrannie » du sucre. Son rêve, c’est la diversification agricole. Et, surtout, il voudrait mettre l’industrie avant les bœufs – tentation de tout nouveau pays indépendant. La Révolution réduit donc ses superficies de cannaies. Mais le nouveau ministre de l’Industrie n’a pas intégré que, pour industrialiser, il faut des devises et que, pour avoir des devises, il faut… vendre pas mal de sucre.
La diversification des cultures (pour l’essentiel le riz et le coton, qu’on abandonnera, puis reprendra) se fait souvent sur de bonnes terres gagnées sur la canne. Et, pis encore, on a cessé, dès 1960, de bouturer, et cela promet des
zafras
désastreuses : 1963 verra la pire récolte du siècle.
Quant à l’industrialisation forcée, elle commence par une désorganisation de l’existant, nationalisé en 1960. Certes, stimulée par le coup de fouet initial au pouvoir d’achat, 1961 sera une bonne année. Ce sera aussi la dernière pour longtemps. La plupart des
managers
sont partis. Mais les contremaîtres et les techniciens ne sont pas davantage restés : ils auraient eu peu à perdre au nouveau cours des choses, mais ils ont été dédaignés. Ce sont donc des jeunes gens ayant conquis leurs brevets dans la Sierra qui sont propulsés à la tête des usines. Le résultat : « Pas un jour où il ne faille en renvoyer un pour incompétence », déclare le Che lui-même.
La situation des travailleurs des villes connaît une vraie régression. Castro ne le nie pas véritablement. La Révolution n’est pas pour vous, avait-il déclaré en substance à des publics d’ouvriers ou d’employés durant l’été 1960. La conséquence est une poussée, dès 1961, de l’absentéisme. Le régime répliquera par des tours de vis : interdiction des grèves, définition d’un « crime contre la production », diminution des vacances, obligation du syndicat unique, blocage des salaires, emprisonnement pour absences répétées, transferts autoritaires… On imagine la retombée de l’enthousiasme.
Seule la « stupide » (
dixit
Kennedy !) tentative d’invasion d’avril 1961, vite connue de la planète comme l’opération dela « baie des Cochons », pouvait, dans ce contexte, refonder le pouvoir d’un Castro désormais soumis à une contestation diffuse relayée par une opposition intérieure violente. Il se trouve d’ailleurs que la « baie des Cochons », choisie par la CIA comme lieu du débarquement de quinze cents Cubains anticastristes qu’elle a entraînés, Castro la connaît comme la poche de son
battle-dress
où il glisse ses stylos, son éternel carnet de notes et ses cigares Cohiba ! Car, dans les premiers mois de la victoire, le
Lider
, ayant entrepris un repérage de son île comme son père l’aurait fait d’une nouvelle parcelle, a découvert, fasciné, le marécage de Zapata. Moustiques et alligators, les plus nombreux des hôtes de
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