Fidel Castro une vie
délégation de dix prisonniers que Fidel autorise à se rendre sur parole aux États-Unis, achoppent. L’épisode n’améliore pas l’image de Castro mais il n’en a cure. Il menace : faute d’accord, les prisonniers seront jugés. Et ils le seront, en effet, mais enfin libérés fin 1962. La plupart deviendront de paisibles Américains. Bien plus tard, Castro, pris de mansuétude pour ceux qu’il a vaincus, ordonnera qu’on les nomme « brigadistes », et non plus « mercenaires apatrides ». Quant au Conseil révolutionnaire, il éclatera vite. Côté américain, le rapport de l’inspection de la CIA, resté trente-sept ans secret, parlera d’une « opération grotesque et tragique », où « l’ignorance l’a disputé à l’incompétence ».
Fidel n’a pas le triomphe léger. Presque chaque jour jusqu’à la fin d’avril, on le verra à la télévision, expliquant, cartes et croquis à l’appui, Playa Girón, « première déroute de l’impérialisme en Amérique latine ». Une photo de lui, prise le mardi à la tourelle d’un char, sera reproduite en posters. Une propagandezélée insinuera qu’il a lui-même coulé un navire mercenaire d’un coup bien ajusté. Son mérite est autre. Il a vu, vite et bien, l’ensemble du champ de bataille ; et il a décidé comme l’éclair, en vrai généralissime, de l’envoi des forces nécessaires. Moscou, le 30 avril, lui confère le prix Lénine de la paix. Et la paix soviétique, cela pèse d’autant plus désormais que, cinq jours avant le début de la baie des Cochons, l’Union soviétique a envoyé le premier homme dans l’espace : Youri Gagarine.
Ainsi l’île arrive-t-elle au 1 er mai radieux où, devant le million rituel de citoyens rassemblés, Fidel, foulard rouge au cou, « proclame », officiellement, du balcon de la présidence, le caractère « socialiste » de sa Révolution : « Le pouvoir est désormais aux mains des ouvriers et des paysans », annonce-t-il. « Avons-nous besoin d’élections ? », demande-t-il une dernière fois à la foule. « Non, non », scande celle-ci. En revanche, Castro promet : « Une nouvelle Constitution sera donnée à Cuba, en accord avec sa Révolution socialiste. » Un tel texte sera bien adopté… quinze années plus tard.
Une menace contenue dans le discours sera plus rapidement suivie d’effet : « Les curés espagnols phalangistes peuvent préparer leur valise. » De fait, une « loi » est en préparation pour l’expulsion des prêtres étrangers. La crise engagée avec l’Église arrive à son terme. Les visas de séjour de nombreux ecclésiastiques étrangers n’ont pas été renouvelés. Le 12 mai 1961, cent trente et un seront expulsés, et cent quarante-sept autres, dont l’auxiliaire M gr Boza Masvidal, le seront en septembre. C’est la fin du rêve de quelques jésuites espagnols de rejouer l’épopée des
cristeros
mexicains dans une Cuba sans racines chrétiennes. Près de six cents prêtres sur huit cents auront ainsi quitté l’île. Pour un quart de siècle, la question religieuse est résolue à Cuba. Les églises resteront ouvertes, mais les catholiques sont suspects. Le nonce envoyé par Jean XXIII, M gr Cesare Zacchi, acceptera de faire profil bas en vue de préserver l’« outil » pour des temps meilleurs.
Dans son discours du 1 er mai, Fidel a aussi parlé d’éducation. L’île a pris à cœur l’alphabétisation de centaines de milliers de ruraux. Les premières brigades de volontaires sont entrées en campagne à l’automne 1960, en écho au discours de Fidel à l’ONU annonçant un effort exceptionnel en ce sens. Tous lesjeunes gens instruits sont « invités » à participer à la campagne. Ils partent au nombre d’un million, en effet, après Girón, avec leur couverture, leur lampe à pétrole, leur livre, leur cahier et leur crayon. Ils gagnent les villages les plus reculés. Le manuel est du genre sommaire : a-t-on assez ironisé sur la lettre « F », illustrée par le « fusil de Fidel » ? Le régime pourra annoncer, le 22 décembre 1961, que Cuba est un « territoire libéré de l’illettrisme ». Le ministre de l’Éducation, Armando Hart, donnera les chiffres : sur près de sept millions d’habitants, Cuba avait neuf cent soixante-dix mille analphabètes ; sept cent sept mille ont suivi la campagne. Les mille deux cent cinquante écoles privées, quant à elles, ont été incorporées, le 8 juillet, dans le « système d’éducation de
Weitere Kostenlose Bücher