Fidel Castro une vie
la nation ». Avec la « révélation » de son caractère socialiste, le régime se durcit tous azimuts. Le 30 avril, Guevara a annoncé que la journée de huit heures n’était plus la norme : sur « les lieux de travail », la mobilisation doit être « constante ». De nouvelles nationalisations sont annoncées : les fabriques de cigares et cigarettes le 15 juillet, les cimetières le 4 août. Le 4 juillet, le rationnement de la population est décrété et les premières portions congrues sont distribuées le 20 : outre les matières grasses et la viande, le lait et les légumes sont désormais limités, annonce Fidel en personne.
Du 5 au 7 août, le pays se clôt. Tous les vols et mouvements de navires sont suspendus, le temps de procéder à un échange des pesos contre de nouveaux billets. Quiconque troque plus de deux cents unités (deux mois de salaire ouvrier, soit cent vingt-cinq dollars réels) devra justifier de l’origine de sa « fortune ». L’opération achevée, les Cubains « riches » apprennent de Fidel que, en toute hypothèse, les sommes supérieures à dix mille pesos – y compris, donc, « bien acquises » – sont confisquées. Seuls les invalides ont droit à dix-neuf mille pesos, dont ils peuvent distraire trois cents pesos par mois. « C’est, écrit
Le
Monde
, une des opérations les plus sévères… jamais entreprise sur la planète. » Le quotidien ajoute : « Il est clair que la décision touche surtout les petits propriétaires, les ouvriers spécialisés, les petits bourgeois et les commerçants. » De fait, les riches sont à Miami depuis belle lurette ! La réforme tend donc surtout à former cette « classe unique de prolétaires » que Guevara appelle de ses vœux.
L’enfermement de la population se renforce. Le 13 septembre, le Conseil des ministres a décidé que, pour quitter Cuba (une démarche toujours libre pour qui a trouvé un pays d’accueil), il faudra désormais une autorisation de la police et un permis de la Banque nationale. Et la situation des droits de l’homme ne s’améliore pas : le 12 septembre, enveloppé dans du tissu, un billet sorti de l’île des Pins dénonce les conditions de détention. Il est vrai que ce durcissement répond à des actions de l’opposition : tentatives d’attentats contre Carlos Rafael Rodríguez et contre Fidel lui-même, détournement d’avions, de navires, appel à la lutte armée lancé par Prío…
S’il est un domaine, cependant, où le dogmatisme peine à se faire sentir, c’est celui de l’esprit. Quoique appesanti par le conformisme, le débat demeure vif parmi les artistes et écrivains. En juin 1961, un article du cinéaste Néstor Almendros paraît en défense d’un court-métrage intitulé
PM
(après-midi). Le petit film narre un moment du carnaval, avec ses élans sensuels, son explosion de négritude, son amour de la vie sans précautions idéologiques. Le débat qui s’ensuit conduit à la réunion, les 26 et 27 juin à la Bibliothèque nationale, de toute l’intelligentsia cubaine.
La rencontre a lieu à la requête d’un « conseil de la culture » créé au début de l’année et dirigé par Edith García Buchaca, une militante communiste pure et dure, ex-épouse de Rodríguez et à présent compagne d’un important dirigeant du PSP, Joaquín Ordoquí. Les accusations portées contre
PM
et ses deux coauteurs, Orlando Jiménez Leal et Sabá Cabrera Infante (frère du romancier Guillermo), sont lourdes : « déviationnisme idéologique » et « révisionnisme ». Ces accusations sont soutenues par l’autre Guevara, Alfredo, patron de l’ICAIC, centre de production cinématographique de la Révolution. Dans le complexe échiquier cubain, la vraie cible de l’affaire est
Lunes
(Lundi), le supplément culturel hebdomadaire de
Revolución
(quotidien du M-26), qui a accueilli l’article d’Almendros. Une lutte pour l’hégémonie culturelle est en cours, dont le fer de lance est le PSP.
La séance du conseil de la culture est suivie par Fidel, qui prend des notes deux jours durant, comme il le fait lors de grandesconférences. Au nombre des personnalités critiquées figure le peintre Wifredo Lam, l’artiste cubain le plus célèbre à l’étranger. Le 28 juin enfin, Fidel prononce sa célèbre « adresse aux intellectuels ». Il y traite de « la liberté d’expression des écrivains et des artistes ». Risque-t-elle d’être « noyée » par la Révolution ?
Fidel distingue trois
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