Fidel Castro une vie
peuples – dont aucun, hormis au Venezuela, ne l’a, comme en 1961, soutenu de massives manifestations : il s’est montré prêt à tout pour défendre son pays. L’idée d’avoir chez lui des fusées l’a même enthousiasmé.
Fasciné par les armes, il ne pouvait qu’être fasciné absolument par « l’arme absolue ». Il y songeait sans doute depuis le retentissant message de Khrouchtchev, l’été 1960, promettant le soutien, fût-ce en un « sens figuré », de son artillerie nucléaireà Cuba. Il aurait, plusieurs de ses observations le prouvent, préféré, en 1962, la guerre atomique à la capitulation de Moscou. Fin 1993, il a dit au journaliste Jas Gawronski : « Nous savions que si la guerre éclatait, nous disparaissions de la face de la terre, mais nous n’étions pas disposés à céder pour aider à éviter la guerre. » Et à Mina : « Nous pensions qu’un conflit était inévitable, et nous étions résignés et très décidés à l’affronter. » Il ajoute : « Le peuple savait qu’un conflit nucléaire était possible, mais il est resté serein. » Il peut bien l’affirmer, lui qui est, un jour, durant la crise, « descendu interroger des gens dans la rue » ! Fidel, en tout cas, est resté calme face à l’hypothèse que son pays puisse être rayé de la carte. Car il était convaincu qu’en ce cas son pire ennemi aurait, lui aussi, été horriblement mutilé. Que le destin de l’humanité ait été en jeu ne l’a pas fait ciller. Mais d’avoir assumé, cette fois, le risque mortel a contribué à protéger son régime dans les décennies à venir. Mieux, son attitude follement audacieuse, en octobre 1962, a élargi son espace de manœuvre : lorsqu’il s’est lancé dans des aventures risquées, latino-américaines dans les années 1960, africaines dans les années 1970, sa réputation d’homme prêt à tout, vraiment à tout, a sans doute inhibé certaines répliques.
À défaut d’avoir pu empêcher l’accord soviéto-américain, Castro, le jour même, dimanche 28 octobre, glisse des bâtons dans les roues. Il écrit au secrétaire de l’ONU pour énoncer les exigences spécifiques de Cuba en vue du règlement « en profondeur » de la crise. Dans sa « Déclaration des cinq points », il rappelle que la menace militaire américaine n’est pas la seule qui s’exerce sur l’île. Les autres éléments de friction avec le voisin doivent donc, eux aussi, être résorbés si l’on veut aboutir à la paix. Fidel exige donc : 1) la fin du blocus économique ; 2) la renonciation de Washington à utiliser la subversion contre son régime ; 3) la cessation des activités hostiles des exilés hébergés par les États-Unis ; 4) l’arrêt des survols aériens ; 5) le retour de la base de Guantanamo dans le giron national.
Les Chinois appuient d’enthousiasme cette position. Mais Castro n’ira pas, en dépit de suggestions de gauchistes cubains, jusqu’au retournement des alliances dans le conflit entre les deux frères ennemis du communisme. Si irrité qu’il soit, il ne peut pas perdre l’aide soviétique alors que Pékin n’a pas lesmoyens d’être une solution alternative. Aussi le
Lider
redira-t-il, dès la fin 1962, son attachement au marxisme-léninisme et à son « foyer », l’Union soviétique. En attendant, pour appuyer les « cinq points », le régime convoque une manifestation monstre. Le peuple, qui a appris l’existence des fusées et leur retrait le même jour, hurle sur le Malecón : « Ni-ki-ta / Ce qu’on donne ne se reprend pas. » Tout de même aussi un peu soulagé, en dépit du fameux slogan : «
Aqui no se rinde nadie
» (ici nul ne se rend).
Le
Lider
refusera l’entrée à Cuba d’inspecteurs de l’ONU pour vérifier le démantèlement, une formule qui lui paraît contraire au respect de la « souveraineté » du pays. Une visite du secrétaire U Thant ne parvient pas à l’émouvoir : « Qu’on inspecte aussi les États-Unis », s’écrie-t-il. Il confirme que les appareils espions américains qui survoleraient l’île seront abattus. Il contraint ainsi Moscou à imaginer avec Washington des formules de rechange : les navires soviétiques remportant les missiles ne seront pas bâchés afin que leurs cargaisons puissent être photographiées. Castro se met en travers d’un autre point concordé entre les deux grands : il voudrait que les bombardiers Iliouchine-18 ne soient pas rapatriés. Pour l’apaiser, Khrouchtchev tente de
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