Fidel Castro une vie
faire passer ce point auprès de Kennedy, plaidant que ces appareils, à la différence des fusées, ont été
donnés
. Mais l’Américain est inflexible : il maintiendra la « quarantaine » jusqu’au départ des avions.
Mikoyan est donc à nouveau envoyé à La Havane. Le hiérarque attendra huit jours avant de voir Fidel, visitant force plantations de canne, en butte à mille avanies protocolaires. Il sera encore à La Havane le jour des obsèques de sa femme, décédée durant son séjour. Castro veut démontrer qu’il n’est pas de ceux qu’on peut faire aisément plier. Et Moscou apprend le mode d’emploi de cet allié exigeant, qui a bien perçu son poids dans le triangle URSS-Chine-USA. On ne peut en obtenir ce qu’on souhaite qu’en lui manifestant une considération ostentatoire. Le premier vice-président du Conseil soviétique finit donc par arracher au
Lider
« ses » Iliouchine. Et, le lendemain, 21 novembre, la « quarantaine » est levée. La crise est terminée.
Le bilan est énorme. Avec une apparence seulement de paradoxe, on place cette affaire, qui a failli voir l’annihilationde Cuba et d’une partie au moins des États-Unis et de l’Union soviétique, à l’origine de la période dite de « détente ». Moscou rangera ses ultimatums sur Berlin qui, depuis 1958, scandaient la vie internationale. Le 12 décembre, Khrouchtchev lancera aux Chinois qui, du haut de leurs six cents millions d’habitants, tendent à dédaigner la puissance américaine : « Les tigres de papier ont des dents atomiques. »
Castro, lui, ne recevra satisfaction ni sur la levée du blocus économique ni sur la fin de la politique d’isolement de la part des États-Unis, pour ne rien dire du retour à Cuba de Guantanamo. Les reconnaissances aériennes américaines sont maintenues, et donc « l’état d’alerte » dans l’île. Mais le
Lider
a presque obtenu que Washington considère Cuba comme un pays indépendant ! Pourtant, seule son intransigeance sur les inspections a, semble-t-il, empêché qu’un document écrit consigne la promesse américaine de respecter l’intégrité de l’île. Mais Fidel assurera n’avoir rien vu de tel dans la correspondance avec Kennedy que Khrouchtchev va lui montrer lors de sa visite en Union soviétique en 1963. Les États-Unis considèrent, eux, que leur retenue envers Castro dépend de sa modération en matière d’armement.
Fringe benefits
, comme disent les Américains, cadeau si l’on veut : les mille cent treize prisonniers survivants de Playa Girón seront libérés la veille de Noël 1962, contre cinquante-quatre millions de dollars en instruments chirurgicaux, produits pharmaceutiques, lait en poudre et aliments pour bébés. Les tractations auront duré un an et demi, on l’a dit. Kennedy accueillera les « brigadistes » en héros à l’Orange Bowl de Miami. Il leur promet que, bientôt, ils participeront à la libération de Cuba. Et ceux-ci lui remettent symboliquement leur drapeau. La plupart, pourtant, se sentent moralement démobilisés. Leur « Conseil révolutionnaire » se disloquera en avril 1963. Avant de démissionner, Miró Cardona, son président, accusera John Kennedy de quasi-trahison dans l’affaire de la baie des Cochons.
Les Soviétiques vont laisser à Cuba leurs batteries de fusées antiaériennes Sam-II, en principe capables de « descendre » les avions espions U-2. Le Pentagone assurera, en 1987, que plus de quatre-vingts tirs contre eux ont échoué. Plus surprenant, trois mille cinq cents soldats soviétiques sont « oubliés »dans l’île après la crise. Ils seront basés près de La Havane et constitueraient, assure Washington, une « garde palatine » pour le
Lider
. En fait, ils vont surtout devenir les instruments, basés dans la localité de Lourdes, d’un vaste système d’écoute des communications américaines.
7
L ES ANNÉES FIÉVREUSES
(
1963-1969
)
Par chance, je ne suis pas né avec une vocation de caudillo…
Fidel Castro, 2 décembre 1961
Fin 1962, la popularité de Castro est grande à Cuba. Elle dépasse le cercle limité de ceux qui peuvent affirmer vivre mieux désormais qu’il y a un lustre. Retenons le témoignage de l’écrivain Anne Philipe, veuve du grand Gérard (et, comme lui, très à gauche), avec qui elle avait fait un pèlerinage à Cuba dès le début de la Révolution. Elle y retourne en 1962. « Dans aucun pays, je n’ai vu une pareille intimité entre un leader et son peuple,
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