Fidel Castro une vie
ait échappé à tant d’attentats. Un élément constituant de sa baraka, c’est qu’il n’a pas d’habitudes. Il y a, certes, les rites nationaux : le 2 janvier, fête de la Libération et des forces armées ; le 13 mars, anniversaire de l’attaque du Directoire contre Batista – une occasion de rencontre avec les étudiants ; le 19 avril, commémoration de la victoire de la baie des Cochons ; le 1 er mai, bien sûr ; le 26 juillet, anniversaire de la Moncada et véritable fête nationale ; le 28 septembre, rappel de la création des CDR ; le 8 octobre, célébration des « guérilleros héroïques ». Fidel a même appris à « faire avec » ce qui est finalement devenue, au cœur de La Havane, « la Place de la Révolution ». De ce grand-œuvre de Batista (1952-1958), autour duquel s’élèvent les ministères du pouvoir (Armée, Intérieur, Télécom’), le
Lider
avait d’abord tout détesté, jusqu’à la statue de José Martí, au pied du « ziggourat » d’Aquiles Maza, devenu mémorial du père de l’Indépendance.
Ces jours-là, la participation du
Lider
est attendue en un lieu déterminé ; des précautions extraordinaires sont alors prises. Elles atteindront, avec le temps et les attentats déjoués, des proportions démentes : des centaines d’hommes vont l’escorter dans ses déplacements, avec chiens renifleurs – dont la fameuse Jenny. Un de ses leitmotive sera de conseiller aux chefs d’État, latino-américains ou caraïbes qui sont ses amis d’en faire autant… Mais la plupart des incessants déplacements du commandant en chef sont imprévisibles. La propre anarchie du comportement de Fidel (un peu disciplinée avec les années…) est une bonne protection. Longtemps, il n’amême pas eu de retraite privée. Cette négligence s’explique moins, sans doute, par un réflexe de sécurité que par inappétence pour la vie sédentaire. Son nomadisme est un goût hérité de la Sierra : « Au fond, je serai toujours un guérillero », aime-t-il à dire. D’autres ont voulu voir là le reflet de l’absence d’ordre familial à Birán – dont l’ultime « patriarche », la vieille mère, Lina Ruz, vit ses derniers jours avant de mourir en août 1963.
Durant les débuts de la Révolution, Fidel a eu au moins deux lieux, outre le
penthouse
de l’ex-Hilton : la maison de Celia Sánchez au Vedado, où il a fait aménager une salle de gymnastique pour son
fitness
quotidien, bien décrite par le journaliste américain Lee Lockwood ; et la retraite de Cojimar où il a rencontré une unique fois, en mai 1960, l’écrivain américain Hemingway, pour une pêche au gros. En réalité, Castro dort (lorsqu’il dort) là où la fatigue le prend : en voiture, dans une maison de passage, dans un hamac en plein air. Comme bureau, il utilisera un temps le dernier étage de l’ancienne mairie de La Havane, devenu siège de l’Inra.
Début 1963, Fidel n’a plus de doute sur la solidité de sa Révolution. Les commandos venus des États-Unis, des Bahamas, de Porto Rico, signeront leurs méfaits jusque vers le début de 1966 : mitraillages, depuis la mer, de casernes, de résidences d’officiels, de navires ; largage de bombes à partir d’avionnettes ; débarquements à des fins d’infiltration ou de sabotage. Une organisation, Alpha 66, acquerra même une réelle notoriété mais, en 1965, un de ses chefs, le
comandante
d’origine espagnole Eloy Gutiérrez Menoyo, sera arrêté et emprisonné pour vingt-deux ans. Jamais, pourtant, la menace ne sera mortelle. Elle servira à tenir les énergies bandées. Les maquis de l’Escambray seront définitivement matés, on l’a dit, fin 1965.
Il y a d’autres risques. Ainsi le rationnement est-il mal toléré : on n’en voit jamais le bout. La fibre révolutionnaire, ici et là, se détend. À plusieurs reprises, Castro devra intervenir contre la tentation de certains des siens de s’adonner à la
dolce vita
. C’est une des caractéristiques de la Révolution cubaine d’avoir longtemps su limiter la corruption. Non qu’une forme de
nomenklatura
ne s’y crée. Mais l’absence d’ostentation en son sein est une obligation. La personnalité de Castro, peu porté à lajouissance, explique en partie ceci – qui est porteur de solidité. Le caractère national, en effet, est peu austère, ce qui, d’ailleurs, a trompé nombre d’observateurs sur la nature profonde, immédiatement répressive, de la « révolution sensuelle ».
Le mal
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