Fidel Castro une vie
l’optimisme démesuré que le
Lider
a pu nourrir à propos de l’aventure de Guevara…
Le 15 octobre, Castro admet que la mort du Che est « malheureusement vraie ». Le 18, une veillée funèbre a lieu à La Havane devant un million de Cubains rassemblés. La place de la Révolution est plongée dans l’ombre, sauf l’ex-ministère de l’Industrie de Guevara, éclairé
a giorno
. « C’est un jour du mois de juillet ou d’août 1955 que nous avons connu le Che, commence Fidel, sa mauvaise voix rendue presque inaudible par l’émotion. Douze ans ont passé depuis lors… et cette nuit nous sommes réunis ici pour essayer d’exprimer ces sentiments envers celui qui fut l’un des plus proches, des plus admirés, l’un des plus aimés et sans doute le plus extraordinaire de nos compagnons. » Fidel dit la « simplicité », le « caractère », le « naturel », l’« esprit de camaraderie », la « personnalité », l’« originalité » du défunt. C’est un peu le film de sa vie que le
Lider
repasse. L’un des traits les plus forts du caractère de Guevara ne lui a pas échappé : « son excessive agressivité, son mépris absolu du danger ». C’est sans doute cette impavidité qui a conduit cet humaniste, selon une dérive connue que ne relève pas Castro, à n’accorder qu’une importance relative à la mort des autres – comme lorsqu’il décrira, dans un texte posthume, la disponibilité du peuple cubain, en 1962, à souffrir la destruction atomique « si ses cendres [doivent] servir à fonder des sociétés nouvelles ».
Que faire de la mort du Che ? « Comment les révolutionnaires doivent-ils affronter cette adversité ? » Guevara lui-même a répondu dans le message à la Tricontinentale quand il écrivait que, « quel que soit l’endroit où [le] surprenne la mort, qu’elle soit la bienvenue du moment que [son] cri de guerre sera parvenu à une oreille prête à l’accueillir et qu’une autre main se tendra pour empoigner [son] fusil ». « De nouveaux chefs surgiront », prophétise Castro. Et s’il est vrai que « tous les fruits de cette intelligence et de cette expérience en constant développement [sont] perdus à jamais », « à la longue sa mort sera comme une graine qui donnera naissance à beaucoup d’hommes décidés à suivre son exemple ». Et Fidel de conclure : « Avec un optimismeabsolu envers la victoire définitive des peuples, nous disons à Che et aux héros qui ont combattu et sont tombés à ses côtés : Jusqu’à la victoire, sans trêve ! La patrie ou la mort ! Nous vaincrons. » L’émotion affleure, si même l’anthropologie sous-jacente apparaît courte.
L’Amérique latine pullule de gens braves, et Guevara ne sera pas le dernier d’entre eux à tomber pour une cause. Mais, contrairement à ce qu’annonce Castro ce 18 octobre, il faudra plus de cinq ou même vingt ans pour triompher de « l’oligarchie et de l’impérialisme ». C’est même Fidel qui donnera le premier signal de la marche arrière ! Cette inversion de cap surviendra peu après la mort du Che. Elle consternera ceux-là mêmes qui le portaient au pinacle à l’Olas, tel « l’héroïque Douglas Bravo ». En 1970, en effet, le Vénézuélien dénoncera l’abandon par le Cubain « des principes de l’internationalisme » et la « suspension de son aide aux mouvements révolutionnaires latino-américains ». Cette palinodie surprend d’autant plus que l’affaire bolivienne n’avait pas été improvisée. Sa préparation n’avait pas été laissée au seul Ernesto Guevara. Tout un état-major cubain y a travaillé, avec l’évidente participation de Fidel. Sur les seize Cubains qui ont accompagné Che dans son ultime expédition (et dont treize seront tués), rien de moins que trois étaient membres du Comité central du Parti communiste cubain ! C’était donc bien une affaire d’État.
« Che », au demeurant, va devenir à la Révolution cubaine ce que Lénine, mort, aura été à la révolution soviétique : une référence semi-divine. Son portrait va dominer la place de la Révolution à La Havane. Les enfants des écoles vont chanter chaque matin « Nous serons tous comme le Che ». Une belle chanson va encenser « la claire, l’affectionnée transparence de [l]a chère présence » du commandant Che Guevara. En 1982 est lancée à Santa Clara la construction d’un immense mausolée qui lui sera dédié. En 1997, des recherches officielles menées autour
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