Fidel Castro une vie
ministère de la Santé, qui lui a permis de constater des éléments très positifs, a évalué, fin 1967, à quatre-vingt mille le nombre des détenus et autres citoyens à « liberté restreinte » –, plus de 1 % de la population ! Mais ce chiffre, sans doute inclut-il les Cubains alors enfermés dans les Umap, dissoutes en 1969.
Et voici qu’il faut admettre à présent que l’économie est pantelante. Le groupe dirigeant s’active pour faire repartir la machine après le 26 juillet 1970. Il est solidement aidé, presque encadré à présent, par des spécialistes soviétiques de la planification. Mais, avant tout, on va chercher à définir la nature de ce nouveau « dialogue avec les masses » annoncé par Fidel. Des discours du
Lider
, comme il se doit, fixent les cadres de la réflexion. Il les prononce devant la Fédération des femmes cubaines, qui a dix ans le 2 septembre, et devant les CDR, qui fêtent aussi leur première décennie le 28 septembre. Le choix des auditoires n’est jamais laissé au hasard. Car le « dialogue », pour le commandant en chef, ce n’est pas la libre discussion dépenaillée des assemblées générales gauchistes ou des réunions syndicales de l’Occident. C’est celui que médiatiseront ces « organisations de masse trop souvent négligées » à qui, précisément, il s’adresse. Castro, un mois durant, fait l’autocritiqueimplicite de sa propre gestion : « Si tout le monde se met à penser, s’écrie-t-il, il n’y a pas de problème sans solution. Et tout le monde est capable de penser. » Bien ! L’échec de la
zafra
lui est une honte ? « Vive la honte si nous savons en tirer la force morale, la dignité. » Cette très modérée autoflagellation a été bénéfique pour l’image du
Lider
: les « amis de Cuba » vont s’émerveiller de son fair-play à admettre ses « insuffisances ».
Fidel se transforme même, pour quelques mois, en super chef de l’opposition. Ce n’est plus lui le coupable mais, pêle-mêle, le parti, qui a empiété sur les fonctions des administrateurs et dévitalisé les organisations de masse ; les syndicats, qui n’ont pas assez « renforcé la conscience professionnelle des camarades » ; les ministres, dont quatre seront limogés ; une minorité de « tire-au-flanc » contre qui il se déchaîne, se plaignant que l’absentéisme touche 20 % de la main-d’œuvre ; et, enfin, « une grande partie du peuple » qui n’est « révolutionnaire que par émotion » et ne possède qu’un « instinct de classe », pas une « conscience de classe ».
Fidel, pourtant, doit bien faire avec le peuple qu’il a ! Le 26 juillet, il a annoncé la naissance, dans chaque entreprise, d’un « organisme collectif de base » chargé de contrôler la gestion. « Les travailleurs y seront représentés », précise-t-il, aux côtés du parti, de l’administration, de la jeunesse et des femmes. Le pouvoir chercherait-il à noyer le poisson ? Dans la quasi-atonie sociale où vit l’île depuis deux lustres, ce peut être là, au contraire, l’hypothèse d’une réanimation. De fait, de telles instances seront créées. L’avis des travailleurs – sur le Plan une fois par an, sur la marche de l’entreprise tous les mois – y sera ponctuellement recueilli. Toutefois, la participation, prudemment massive au début, ira en diminuant car les réunions sont, le plus souvent, tenues hors des heures de travail.
Un mécanisme se met ainsi en route, le 7 septembre 1970. Dans toute l’île, des assemblées ont lieu sous le contrôle du ministre du Travail, Jorge Risquet – un
raúlista
, comme on commence à dire, c’est-à-dire un proche du responsable des forces armées, Raúl Castro. Des élections syndicales ont lieu du 12 novembre au 12 décembre. Fidel a promis qu’elles seraient « absolument libres » et, de fait, deux millions de travailleurs blackboulent 80 % de leurs délégués. La CTC, moribonde,retrouve sa crédibilité. Fidel, pourtant, n’entend pas que le « dialogue » ainsi rouvert donne aux masses l’idée qu’un relâchement est à l’ordre du jour. Si, donc, le 26 juillet, il avait annoncé que « les cinq prochaines années seront les plus aisées des premières décennies », le 12 décembre, il « propose » que, à nouveau, Noël et le nouvel an soient jours de travail pour 1971. Ce sera encore le cas pour 1972, 1973, 1974… et quasiment les quarante années à venir.
C’est le second volet de la
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