Fidel Castro une vie
rééducation – seront soixante mille.
Castro et Guevara avaient, vers 1963, critiqué le premier Plan quadriennal, élaboré par des techniciens tchèques, peuadapté aux besoins cubains. Moyennant quoi, près de dix années durant, l’économie a fonctionné sans Plan. L’aide soviétique s’offre donc dans ce domaine, ou plutôt s’impose. Mais avec subtilité : Moscou ne veut plus ni indisposer ni signer de chèque en blanc. Et ce d’autant que ses alliés au sein du Comecon, habitués quant à eux à plus de rigueur, grognent contre les extravagances de Castro. Certes, l’Union soviétique ne s’est pas mêlée de la «
zafra
historique » – affaire du commandant, affaire d’État. Pour le reste, dès 1969, une mission dite « d’organisation » a fait un long séjour en Union soviétique. En 1970, c’est le président du Gosplan, Nikolaï Baïbakov, qui séjourne dans l’île. Il jette avec son homologue (depuis 1962 le président Dorticós) les bases d’une collaboration qui aboutira, en 1976, à une coordination des Plans quinquennaux. Moscou contribuera aussi à la création d’un budget rationalisé et d’un système de statistiques. Dans les limites d’une économie désormais reconnue « sous-développée », des résultats seront atteints.
On voit, toujours à partir de cette cruciale année 1970, s’esquisser une nouvelle alliance pour la conduite de l’économie. « Face » aux frères Castro, qui ont en charge la haute politique, la stratégie et la sécurité, Carlos Rafael Rodríguez, appuyé sur Dorticós, assume un leadership sur un petit groupe de modérés. Certains sont originaires du M-26, comme Marcelo Fernández. D’autres sont de jeunes technocrates, certes tout dévoués à la Révolution mais convaincus, aussi, que l’économie se venge quand on nie certaines règles : le refus de choisir des priorités et de déterminer des coûts, le désintérêt pour la productivité, l’inattention aux gaspillages, les fréquents changements de cap, le mépris pour la compétence, etc. L’un des plus notoires de ces « hommes nouveaux », convaincus que l’économie n’est pas une guérilla, est Hector Rodríguez Llompart, qui se fera connaître à Paris pour avoir parfois présidé avec efficacité la Commission franco-cubaine.
Parmi les mesures prises à partir de 1970 pour remettre l’économie sur rails, la plus décisive est le freinage de la « démonétisation » décidée au milieu des années 1960. On n’augmente plus le nombre de services ou biens mis gratis à la disposition des Cubains. On supprime même la gratuité des deux millions de repas servis à midi en cantines. Les loyers, loin de disparaître,seront exigés. Les bourses, orgueil du régime, seront distribuées avec davantage de parcimonie. On augmente les prix de biens comme l’électricité, l’eau, les transports à longue distance, les communications téléphoniques, etc.
Corrélativement : on double l’éventail des salaires moyens, de un à sept. Heures supplémentaires et travail volontaire seront payés. Les tâches pénibles seront récompensées par des primes. Le salaire minimum, quatre-vingts pesos par mois, soit soixante dollars, pour huit heures de travail par jour, ne sera plus guère payé qu’à des ouvriers agricoles sans spécialisation. En ville, la rémunération de base dépassera les cent pesos. L’objectif de ce creusement entre les rémunérations est, bien entendu, de remotiver les techniciens et les cadres, dont Castro reconnaîtra qu’ils ont été pénalisés.
Mais l’essentiel de la réforme de 1970-1971 est l’introduction sur un marché désormais dit « libre », grâce à des importations le plus souvent, de nombreux biens qui avaient disparu. C’est cher, mais les Cubains s’y précipitent. Ainsi le restaurant suppléera aux rations insuffisantes de la
libreta
. On comprend bien la logique des choses. Ses premières années, la Révolution avait créé des moyens d’achat sans contrepartie. Comme il n’était pas question d’accepter la conséquence naturelle de cette situation – l’inflation galopante –, qui aurait remis en cause la redistribution en faveur des plus pauvres, on a bloqué les prix. Mais, alors, il a fallu instituer le rationnement, devenu le mode de régulation globale. Pour les particuliers, l’effet le plus notoire en a été l’impossibilité d’employer une partie de l’argent gagné. Il y a donc, calculent les experts
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