Fidel Castro une vie
eût prévu que « le gouvernement de Cuba accorde aux États-Unis le droit d’intervenir pour garantir l’indépendance [
sic
] et pour aider tout gouvernement à protéger les vies, la propriété et la liberté ». Et comme ce texte reprenait un passage d’une loi proposéepar le sénateur Platt, il reste connu comme « l’amendement Platt ». Il devait rester en vigueur trente-deux ans. Et pas platoniquement : Washington conduisit des opérations militaires et imposa son occupation en 1906-1909, 1912, 1917 et 1923. « Avec l’amendement Platt, nous avons pratiquement annexé Cuba », put déclarer un conseiller du président Theodore Roosevelt. Et un général ayant commandé les
marines
lors d’un des débarquements dans l’île, Smedley Butler, pouvait pérorer : « J’ai aidé à faire […] de Cuba un endroit convenable, où les gars de la City Bank puissent collecter des revenus. »
Prenant en 1933 ses fonctions de chef de l’État, Franklin Roosevelt se proposa pour première tâche de rétablir avec les
Latinos
des relations de « bon voisinage », fortement compromises par la politique du « gros bâton » de son cousin Theodore. Le 29 mai 1934, un nouveau traité bilatéral mettait fin à l’amendement Platt. Il conservait cependant, à perpétuité, la base navale de Guantanamo à Washington. Roosevelt sut aussi imposer à La Havane un traité de commerce confirmant à son pays un régime douanier privilégié. Le texte prévoyait l’institution d’un « quota » sucrier acheté à Cuba à des prix préférentiels, mais dont le montant était laissé à la décision annuelle des parlementaires américains. Et comme plus de 80 % des rentrées de devises insulaires étaient liées aux exportations de sucre, ce traité plaçait
de facto
l’économie sous la coupe de Washington.
C’est dire que le malaise « historique » de cette génération de Cubains arrivés à la majorité en 1947 est une donnée fondamentale. Et Castro sera bien compris de ses citoyens lorsqu’il expliquera que sa révolution est cette « seconde guerre d’indépendance » prophétisée par José Martí.
Cuba souffrait d’un malaise plus conjoncturel, encore que nullement passager : le pays n’était jamais vraiment sorti de la crise de 1929. La chute des cours des matières premières, qui en avait été l’une des caractéristiques profondes, avait été ressentie avec acuité dans un pays dépendant de son seul sucre. En outre, la crise était arrivée après une période de particulière euphorie : la Première Guerre mondiale, qui avait stimulé la demande pour tous les produits de première nécessité, à commencer par ce fruit de la canne dont Cuba était de loin le premierexportateur planétaire. Plus dure a été la chute ! Le marasme a duré toutes les années 1930. La Seconde Guerre mondiale a eu un nouvel effet stimulant sur les productions cubaines (sucre, tabac et rhum). Mais la relance n’a guère prolongé ses bienfaits après 1945. Le pays, toutefois, allait connaître une flambée liée à la guerre de Corée (1950-1953), puis un boom dérivé du tourisme américain en 1956-1958.
Cependant, la révolution de 1933 avait été une énorme secousse. On y avait même vu la formation de soviets. De sorte que le « sergent dactylographe » Batista n’avait pu réussir sa réaction politique (et se montrer proaméricain) qu’en échange d’un réel activisme social, remplissant en cela le programme du Directoire des étudiants. Il a assuré, comme dictateur camouflé d’abord, comme président démocratique ensuite (1940-1944), une vraie « couverture » des travailleurs. Comme à l’ordinaire, les attentes populaires en ont plutôt été stimulées : la Confédération des travailleurs (CTC), née en 1938, aura été très combative sous l’impulsion de son secrétaire, le militant noir Lázaro Peña. Bref, « l’esprit de 1933 » n’avait jamais été enterré. Or, des injustices demeurent. La plus criante est le chômage, ou le sous-emploi, de 10 à 20 % de la population. Le malaise est aggravé par la poussée démographique induite par les progrès médicaux depuis le début du siècle. Parmi les énergies sous-employées, les plus voyantes sont celles des jeunes diplômés : ce problème s’est révélé à Cuba plus tôt qu’ailleurs.
Lancé à fond dans la bataille cubaine, Fidel ne commence pas moins à se sentir à l’étroit dans son île. Un témoin de ces années a
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