Fidel Castro une vie
quelque sicaire du MSR ? Il n’importe. À Cayo Confites, une entreprise où le grotesque le disputait au sordide s’est terminée à la gloire de Castro – et quasiment de lui seul : quelques jours après le bain dans les eaux de Nipe, le héros sera de retour dans la capitale, alertant les étudiants contre « la trahison de l’expédition » par le gouvernement Grau.
À peine majeur, Fidel est ainsi devenu une figure. Il a aussi compris l’importance de ne jamais laisser trop longtemps sans nouvelles de soi ce que l’on n’appelle pas encore « les médias ». Un mois et demi plus tard, il organise une nouvelle expédition : avec quelques compagnons, il rapporte à l’université de La Havane
La Demajagua
: la cloche qui, dans le lointain Oriente, avait, en 1868, donné le branle à la révolte contre le colonisateur espagnol. Dans un climat troublé par des grèves, des manifestations étudiantes, des combats entre gangs, l’arrivée dans la capitale du symbole de la liberté des Cubains ne passe pas inaperçue. L’événement révèle la prodigieuse imagination de Fidel comme metteur en scène politique.
La circonstance permet aussi au bouillant jeune homme de prononcer sur le campus, le 6 novembre 1947, ce que plusieurs auteurs considèrent comme son premier « discours-programme ». Libération économique, souveraineté politique et émancipation définitive de la nation, tels en sont les points cardinaux. Tout cela fait partie du patrimoine commun de la gauche étudiante latino-américaine. Mais Fidel, note Tad Szulc, y rode deux traits rhétoriques qu’on retrouvera. Il assène tout d’abord à son auditoire une avalanche de chiffres retenus par cœur, ce qui impressionne. En outre, il use de la prophétie. Ainsi, ce jour, fait-il état de menaces « militaristes » Il anticipe ainsi de plus de quatre ans le coup de Batista !
Le soupçon pourrait naître que toute cette agitation fût un peu « tropicale », attisée par des démagogues prompts à fouailler ce qu’il y a de toujours bouillant et inemployé dans la jeunesse. Or, il existait un malaise réel à Cuba. Un malaise séculaire servant de toile de fond à un autre, plus conjoncturel. La crise séculaire réside dans le doute qu’a le pays de son identité.Au milieu du XIX e siècle, il existait ainsi dans l’île un parti favorable à la constitution du pays en un nouvel État uni… à la grande fédération américaine du Nord. Or, des forces étaient alors à l’œuvre à Washington pour procéder à une annexion de Cuba – « accessoire naturel du continent nord-américain », selon le mot du secrétaire d’État Quincy Adams. Cependant l’île était, avec Porto Rico, le dernier réduit colonial de Madrid dans le nouveau monde. La jeune puissance américaine, pourtant, avait auparavant d’autres exploits à réaliser : rattachement
manu militari
du Texas, conquête pionnière de l’Ouest, avec réduction des tribus indiennes, victoire sur le Sud esclavagiste lors de la guerre de Sécession.
Tout cela explique que Washington ait attendu 1898 pour chasser les Espagnols de Cuba en vue de s’installer à leur place. Entre-temps, les habitants de l’île s’étaient eux-mêmes soulevés contre la Couronne madrilène, et avec quelle détermination ! Une première guerre d’indépendance avait duré rien de moins que dix années, de 1868 à 1878. Après un « repos turbulent » (Martí) de dix-sept ans, la guerre reprit. Elle fut plus brève que la précédente, mais bien plus violente – avec la création des premiers camps connus de
re[concentración]
, de la part des Espagnols, pour y enfermer les
mambis
(insurgés). En 1898, alors que les deux adversaires sont exsangues, les États-Unis, mettant fin à leur politique de « longue patience », déclarent la guerre à Madrid. Ils l’emportent en trois mois et occupent Cuba. Cet événement marquera le retournement de l’Amérique latine profonde (et, également, de l’Europe) contre un grand voisin longtemps admiré pour sa lutte anticoloniale contre l’Angleterre. À Cuba s’installe le thème, longuement porteur, de « l’indépendance volée ».
Cependant, les trente années écoulées depuis 1868 avaient trop radicalisé les esprits à Cuba pour qu’aboutît une annexion, à l’instar de ce qui prévalut à Porto Rico. Aussi une solution fut-elle trouvée : l’indépendance fut accordée à Cuba en 1902, mais non sans que la Constituante « américaine »
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