Fidel Castro une vie
l’« agent à distance » d’Ana Belén. On ne prête qu’aux riches ! Il est vrai qu’en matière d’espionnage les pincettes sont de rigueur ; mais il ne faut pas négliger que, dans la sombre guerre entre les États, le petit, s’il attire davantage la sympathie, n’est pas toujours totalement démuni de ressources ! Le 13 mai 2003, les États-Unis pourront ainsi expulser, sans que La Havane rétorque, quatorze de ses diplomates en poste à l’ONU ou au Bureau des Intérêts. Quoi qu’il en soit, c’est peu dire que le climat est délétère, au début du XXI e siècle, entre lesdeux États antagonistes qui campent de part et d’autre du détroit de Floride.
L’année 2002 sera tout en attente inquiète : après la victoire-éclair des États-Unis, de l’« Alliance du Nord » afghane et d’alliés occidentaux sur les talibans, les Cubains, comme le monde, suivent les manœuvres de Bush pour pousser avant la « guerre contre la terreur ». Dans l’île, cette année sera aussi marquée par de grandes manœuvres (inégales) entre le pouvoir et l’opposition. Oswaldo Paya, un ingénieur de formation qui a cofondé, en 1988, un Mouvement chrétien de libération, tout juste toléré, a décidé en 1998, juste après le voyage de Jean-Paul II, de recueillir des signatures pour une pétition qui, si elle atteint dix mille signatures, devrait, aux termes de la Constitution de 1976, être tenue pour un projet de loi. Cette initiative a été nommée « projet Varela », du nom d’un curé qui, au XIX e siècle, avait été précurseur de l’Indépendance. Le texte en a été déposé au printemps 2002 auprès de l’Assemblée nationale. Il aura recueilli
in
fine
quelque quarante mille signatures, ce qui est un exploit, à Cuba, s’agissant d’une démarche d’opposition. Il réclamait plus de libertés, personnelles (droits d’expression, de réunion), politiques (droit de créer un parti) et économiques (droit pour les insulaires d’entreprendre). Face à cela, le
Lider
eut une de ces réactions éclair qu’il affectionne : en une journée, le 15 juin 2002, huit millions de Cubains (« 98,05 % des électeurs », selon Castro) signaient une pétition demandant que le socialisme devienne constitutionnellement « irrévocable » à Cuba. Ce à quoi il sera ponctuellement répondu par l’Assemblée nationale. Ainsi le projet Varela sera-t-il mis aux oubliettes.
Comment expliquer, soit-il demandé au passage, l’écho somme toute limité de la dissidence ? La peur des Services est ce à quoi l’on pense en premier. On peut aussi avancer la crainte d’un retour des exilés, qui pourraient réclamer le lieu de résidence que la Révolution débutante leur a accordé. Et, surtout, il y a les accommodements nécessaires avec la réalité, au prix d’entorses à la légalité inévitables pour simplement survivre mais dont on redoute en permanence de devoir, au jour voulu par le pouvoir, payer le prix. Par ailleurs, si elle est d’évidence en recherche de formes d’expression la distanciant du pouvoir,la jeunesse adhère peu aux modalités, jugées trop traditionnelles, des mouvements politiques : c’est plutôt la musique
underground
, à connotation sexuelle, qui la branche, comme ce fut le cas en URSS à la fin du soviétisme.
En outre, c’est peu de dire que le castrisme ne se sera pas montré trop exigeant envers les citoyens – hors l’adhésion politique, qui n’est pas rien, certes. En particulier, le travail (en contrepartie de rémunérations ridicules, il est vrai : 18 dollars par mois en moyenne en 2012) n’y aura pas été épuisant. Les Cubains pouvaient bien dire, à l’instar de ce que l’on entendait en Union soviétique lorsque les langues ont commencé à s’y délier : « Ils font semblant de me payer, eh bien ! moi, je fais semblant de travailler ! »
Enfin, plus d’un Cubain a pu, à un moment ou l’autre, décider de ne plus s’opposer frontalement à Castro. Qui a envie d’être le dernier mort d’une guerre ? Dans son ultime décennie au pouvoir, Fidel aura ainsi endossé l’habit du «
viejo
», le vieux radoteur, redoutable encore mais avec qui il est avisé de s’en tenir au
modus vivendi
jusqu’à ce que survienne cette issue que l’humour cubain a baptisé « la solution biologique »…
Comme l’Irak avait été choisi par George Bush pour être la cible de sa seconde « guerre antiterroriste » (dont les préparatifs se précisaient en mars
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