Fidel Castro une vie
2003), la police cubaine allait lancer son plus gros coup de filet depuis le siècle précédent. Soixante-quinze dissidents – cinquante promoteurs et zélateurs du projet Varela, et vingt-cinq journalistes indépendants – allaient être condamnés à des peines allant de six à vingt-huit ans de prison. C’était un retour à l’énormité des sanctions pratiquées par la Révolution à ses débuts. Ni Elizardo Sánchez ni Oswaldo Paya ne sont sur la liste : ils sont trop connus mondialement ! Outre Beatriz Marta Roque, unique femme sanctionnée (elle avait déjà connu la prison en 1999 pour avoir signé le document « La patrie appartient à tous »), le plus notoire de ceux qui sont punis cette fois est Raúl Rivero. Poète, il a été primé deux fois dans les années 1960 par l’officielle Uneac (Union des écrivains) ; journaliste, il a été correspondant à Moscou de l’agence du régime, Prensa Latina. En 1995, après des tribulations et un évident cheminement personnel, il cofonde la minusculeagence dissidente Cuba Press (le prix Reporters sans frontières l’en récompensera). Le 7 avril 2003, il en prend pour vingt ans. Et, trois jours plus tard, on fusille trois jeunes Noirs qui, à Regla, dans la baie de La Havane, avaient tenté de détourner un ferry vers la Floride. Là encore, la sanction marque une régression, puisque le régime, sans abolir la peine de mort, avait décidé, en 2000, un moratoire sur son application.
Or l’opinion internationale a évolué après un demi-siècle où les duretés du régime contre ses opposants ont été imputées à une « Révolution assiégée par l’empire et obligée de se défendre ». C’est que la sensibilité sur le sujet des droits de l’homme s’est haussée d’un cran – et c’est aussi un effet des nouvelles technologies de communication. Les « amis de Cuba » s’égaillent dans la pente ; certains des plus « cohérents » même disent « ne plus trop savoir que penser »… Seul Gabriel García Márquez semble intouché par cette agitation. Et l’Europe officielle, d’une part, et même une partie de l’intelligentsia latino-américaine s’enflamment.
L’Union européenne, qui venait d’inaugurer un siège à La Havane, décide alors d’accorder un statut quasi officiel aux opposants, notamment en les invitant à ses Fêtes nationales – pratique inaugurée dès le 25 avril par le Portugal, qui commémore ce jour sa révolution des Œillets. Il s’ensuivra quelques années de « froid » entre les Quinze (devenus Vingt-Cinq en 2004), et le régime castriste – et ce alors que l’Union, Madrid et Paris en tête, a toujours, ou quasiment, manifesté de la compréhension à l’endroitde la Cuba fidéliste. Le ressentiment du commandant en chef envers le Premier ministre conservateur espagnol José María Aznar ne connaîtra dès lors plus de bornes. Tout comme il en rajoutera dans l’estime publique envers le socialiste José Luis Zapatero, qui arrivera au pouvoir à Madrid en 2004. Avec la plupart des États européens, les relations resteront glacées jusqu’à 2005 et ne seront collectivement reprises qu’au bout de cinq années. Mais le régime castriste tiendra désormais les Européens pour « peu fiables ».
Il y a plus. En Amérique latine et dans la péninsule Ibérique, où le
Lider
a ses ultimes réserves de popularité hors de son île, des bastions tombent. Le Prix Nobel de littérature 1998, le Portugais José Saramago, jusque-là défenseur sourcilleux de la Cuba révolutionnaire, prononce, en apprenant les trois fusillades de Regla, le même « au-delà je ne puis » que Luther à la Diète de Worms : « Vous avez brisé mes espoirs, déçu mes illusions… » Pis, l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, connu pour son ouvrage
Les Veines ouvertes de l’Amérique latine
, fidélissime soutien de la Révolution dès ses débuts, écrira dans
Brecha
, à Montevideo, un article triste intitulé « Cuba me fait mal ». Pour cet homme dont les mots pèsent, les exécutions et les condamnations d’avril sont « un péché contre l’esprit ». Et il élargit l’horizon : « L’Amérique latine de gauche souffre. » Selon Galeano, et « malgré l’admirable courage de ce petit pays », des « signes de décadence » sont visibles à Cuba, dont le premier est la centralisation du pouvoir. Pour une fois, personne, à La Havane, n’aura à cœur de flinguer le « traître » ; seuls quelques
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