Fidel Castro une vie
grand malade peuvent être tenus pour indices d’un train de vie mesuré. Même, un temps, ses bottines italiennes, qu’on lui a reprochées, ont peut-être répondu davantage à un souci de confort que de paraître. L’absence de « vie privée en public » peut, en partie aussi, être rapportée à ce souci, même si, à l’évidence, des éléments psychanalytiques entrent également en ligne de compte. Plus sérieusement, sa manière de « dégommer » avec régularité, pour l’exemple, tel ou tel apparatchik jouant par trop au nomenklaturiste suppose une claire conscience de l’importance, politique à tout le moins, de la sobriété. Tout cela autorise l’hypothèse que niFidel ni ses très proches ne s’en sont mis, comme on dit, « plein les poches », ou n’ont de comptes en Suisse. Et il n’a guère, à la différence de Raúl, « poussé » ses enfants. Son premier fils, Fidelito, ingénieur en sciences atomiques de l’université de Moscou, devenu spécialiste en nanotechnologies – après avoir, il est vrai, échoué à mettre sur pied une industrie nucléaire à Cuba –, est simple conseiller de l’État et une sorte de VRP scientifique international de l’île caraïbe. Un autre fils, né de son second mariage avec Dalia Soto del Valle, Alex, est programmeur informatique ; et deux autres, Antonio et Ángel, sont l’un chirurgien et l’autre médecin. Insensible à ce que chaque homme peut légitimement développer de goût pour la liberté individuelle, le
Lider
en chef aura clairement eu la perception que le souci de l’égalité des conditions est une autre des passions humaines très partagées.
Fidel aura-t-il été un
caudillo
comme l’Amérique latine en a connu à la pelle ? Il a toujours nié avoir ce profil. Avec les plus « grands » de ceux-là, les Juan Manuel de Rosas, les Porfirio Díaz, les Solano López, il partage pourtant un instinct absolu du pouvoir, jusqu’à la cruauté lorsque nécessaire. Mais la
revolución
dont il a été le champion aura été plus « idéologique » que celle des «
supremos
», « patriarche » et autre « homme à cheval », dont Roa Bastos, García Márquez et Drieu ont fait les portraits.
Fidel, alors, aurait-il été fasciste ? Un « fasciste de gauche » (Hugh Thomas) – le seul qui aurait réussi ? Il a réfléchi à cela devant Lee Lockwood : « Il y a une grande différence entre nos multitudes et les foules fascistes. Nos multitudes ne sont pas fanatiques. Au contraire, on crée des convictions fermes, par persuasion, analyse, raisonnement. Les fascistes ont rassemblé des multitudes qui semblaient contentes, mais leurs organisations et mobilisations de masse étaient faites par des moyens militaires. Elles n’avaient pas la spontanéité, encore moins l’enthousiasme et l’ampleur qu’ont nos meetings. » Qui l’aime le suive sur ce terrain !
« Croire que la conscience doit venir avant la lutte est une erreur », avait-il vaticiné le 6 juillet 1966, au plus fort des années fiévreuses. Une chose est sûre, en tout cas : cet homme à qui l’on ne peut refuser le qualificatif de « politique » aura été absolumentet constamment fasciné par les armes. Voir, par exemple, comme il refait la stratégie de Saddam Hussein, en 2003, contre les
GI
dans la
Biographie à deux voix
qu’il a composée avec Ignacio Ramonet : « Pourquoi n’a-t-il pas fait sauter les ponts… les dépôts de munitions, les aéroports ? » Et cet uniforme vert-olive, quitté au plus six-huit fois au cours d’un demi-siècle, de quoi est-il vraiment le signe, sinon de son goût pour la vie martiale ?
L’histoire pleine de bruit et de fureur que nous avons contée aura sans doute montré que Fidel Castro fut un homme sans repos. Plusieurs décennies durant, il aura passé l’essentiel de ses journées à sillonner Cuba, de fermes en entreprises, de villages en chantiers. « Fidel dirige de la rue », disait-on jadis à La Havane. Sans doute est-ce beaucoup à ce trait qu’il aura dû de n’être pas devenu odieux à tous ses compatriotes après tant de souffrances infligées par orgueil, inconstance dans les projets. Car la plupart des opposants sont contraints d’admettre que Fidel aura conservé jusqu’au bout un certain soutien, notamment parmi les Cubains de racine africaine.
Fidel est intenable. Donc, comment le tenir ? On sent que ce souci a hanté le sérail depuis mars 2007, quand il a paru possible qu’il remonte la pente
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