Fidel Castro une vie
le pétrole jaillisse en abondance au nord des côtes de l’île, tout en engageant avec prudence des réformes sur lesquelles, contrairement à Fidel, il ne reviendra pas. Mais les sceptiques sont partout. Les uns voient mal « comment une équipe conservatrice avec une haute privilégiature de bureaucrates et une clique médiane de technocrates pourrait réformer ». D’autres disent : « C’est la
salsa
: un pas en avant, un pas en arrière, mais on a bougé ! » Et il y enaussi qui, tel Alcibíades Hidalgo, ex-chef de cabinet de Raúl exilé à Miami, pensent que le successeur de Fidel Castro n’aura pas le temps de réussir.
L’avenir, à Cuba, plus que par le PCC, bien lointain pour les 93 % de citoyens qui n’en sont pas membres (et qui se débandera peut-être au premier choc, comme ce fut le cas dans la plupart des pays de l’ex-bloc socialiste), passe d’évidence par les Forces armées révolutionnaires. Car il n’est pas aventuré d’affirmer que, dans l’île caraïbe, discrètement, et sous la houlette de Raúl Castro, dit « Le Chinois », les fusils commandent au Parti, contrairement au fameux précepte de Mao Zedong. Les FAR (cinquante-cinq mille membres) ont tous les atouts : parce qu’elles ont écrit, en Afrique, les pages les plus glorieuses de l’histoire du pays ; parce qu’elles sont encore perçues comme un corps « défendant la stabilité et les intérêts nationaux » ; parce qu’elles ont eu soin de ne jamais participer dans l’île à la répression, laissant cette tâche à la pléthorique Sécurité d’État ; et aussi parce que, bien qu’ayant en main presque tout ce qui marche dans le domaine économique, elles ne sont pas entrées, à ce jour du moins, dans une corruption avérée à une vaste échelle : le récent limogeage du général Rogelio Acevedo, « inamovible » directeur de l’Aviation civile, a, de ce point de vue, fait l’effet d’une mini-bombe. Quoi qu’il en soit, dans un premier temps au moins après la mort de Raúl Castro, les FAR pourraient éviter, en prenant le pouvoir, que les haines tenues sous le boisseau par l’ombre géante de Fidel ne dégénèrent en un « bain de sang ». Un « bain de sang » qui est la hantise (selon un câble révélé en son temps par WikiLeaks) du Vatican, excellent observateur de la réalité cubaine. Ce Vatican d’où s’est envolé, fin mars 2012, pour trois jours dans l’île, le pape Benoît XVI, convaincu que son Église jouera un rôle primordial dans une « réconciliation nationale » et qui s’est fait, pour la circonstance, l’avocat prudent du « changement ».
Autre probabilité : ce n’est pas avant la mort de Raúl qu’entrera en jeu l’Exil, avec ses relais intérieurs et bien sûr son arrière-plan américain. Ses intérêts, importants (qu’il s’agisse des biens confisqués à partir de 1959 ou d’investissements autorisés depuis quelques lustres), et dont on ne peut préjugers’ils se déploieront avec tout le tact qu’attendent leurs compatriotes restés dans l’île, ont toute chance, alors, de se télescoper avec ceux des « princes » d’un « socialisme d’État » en recherche (molle) de renouveau.
Car, à la différence de ce qui se passe en Chine et au Viêtnam, modèles présumés, un vrai capitalisme ne sera sans doute pas, à l’horizon 2022 que Raúl s’est fixé à lui-même, la contrepartie économique d’un système politique répressif à Cuba. Ni les « accordeurs et réparateurs d’instruments de musique », ni les « loueurs de vélos », premiers et derniers de la liste des cent soixante-dix-huit métiers désormais ouverts au privé, ne changeront la face du socialisme insulaire. Et ce d’autant que nombre des trois cent soixante-dix mille citoyens reconnus, à l’heure où sont écrites ces lignes, « idoines » (selon la novlangue du socialisme castriste) pour effectuer le saut vers le privé, n’ont fait, en réalité, que régulariser une situation jusque-là tolérée.
Quant à la place que, dans les prochaines années, prendra en tout ceci la « société civile », le pronostic est aventuré. Car, malgré une surveillance qui tient toute opposition en lisière, on peut conjecturer que Cuba est plus « politisée » que ne le laisserait croire le théâtre qui s’est joué un demi-siècle durant entre un peuple proclamé tout-puissant mais bâillonné et un État lui dictant ce qu’il doit vouloir.
Cette politisation virtuelle
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