Fidel Castro une vie
brute. « Il serait exagéré de dire que ce manifeste a eu la même diffusion que les autres déclarations des groupes politiques institutionnalisés », admet Lionel Martín.
Le 16 mars, ayant observé que Batista a relâché toutes les personnalités arrêtées, Fidel participe à une manifestation d’
ortodoxos
au cimetière Colón devant la tombe de Chibás. « Ses paroles fort senties ont été bien accueillies par la foule », lit-on dans
Alerta
, une publication à scandale que bénit le succès. Castro s’était écrié : « Batista doit être chassé comme il est venu. » Fidel n’oublie pas, par ailleurs, qu’il est avocat. Parallèlement à d’autres
ortodoxos
, il fait déposer au « tribunal d’exception » de La Havane une plainte démontrant que Batista a violé six articles de la Constitution et du code pénal. « Traître et séditieux », il doit, en conséquence, être condamné à cent ans de prison. Faute de quoi, la justice n’aura aucune légitimité pour punir ceux qui se dresseraient contre l’ordre batistien. Une observation non sans portée pour l’avenir. Cet épisode, le premier de la vie publique de Castro retrouvé par les biographes après la victoire de 1958, ajoutera alors à son image de Robin des bois. La mollesse des dirigeants du parti de Chibás, confrontée à l’immédiate réaction de fermeté de Fidel, vaut vite à celui-ci une audience élargie. Tous les opposants aucoup d’État ne sont pas prêts à s’engager dans des actions périlleuses. Mais certains acceptent de mettre le vivre et le couvert – et de l’argent – à la disposition d’un homme qui a clairement dit non au soudard.
Il ne faut pas imaginer une vie de clandestin. Fidel continue d’apparaître à son cabinet. On le voit souvent, en 1952, au siège du Parti orthodoxe. Il se rend même parfois dans un tribunal, une prison, voire au siège de la police, pour défendre un groupe d’étudiants interpellés, ses propres camarades de combat arrêtés. Mais il dort le plus souvent hors du domicile conjugal – souvent chez sa demi-sœur Lidia – pour ne pas mettre en péril Mirta et Fidelito. Pourquoi Batista a-t-il ainsi laissé se développer une activité subversive ? Il est possible que, jusqu’à la Moncada, Castro soit apparu à beaucoup comme une grande gueule, mais somme toute inoffensif. On ne peut pourtant supposer que le gaillard passe inaperçu ! À bord de sa vieille guimbarde, il sillonne l’île pour de mystérieux rendez-vous nocturnes : « Quatre mille kilomètres », assurera-t-il. Il s’agissait de sonder des camarades destinés à devenir la première troupe castriste. Fidel se livre aussi à des négociations pour des achats d’armes ou à la confection de matériels somme toute aussi peu innocents que des postes radio émetteurs.
Fidel possède l’état civil idéal pour entreprendre de fédérer des énergies. Vingt-six ans : assez de « bouteille » pour inspirer le respect, pas assez vieux pour hésiter devant les hasards d’une vie clandestine. Le profil parfait pour ces temps troublés : celui du « guérillero politique », la formule est de lui. Pour frère Betto, Castro a tracé de la période comprise entre le
golpe
et la Moncada un tableau tout en ligne droite : « J’ai commencé à organiser personnellement les militants pauvres et batailleurs de la Jeunesse orthodoxe. Je suis entré en contact avec quelques leaders de ce parti qui se disaient favorables à la lutte armée. J’étais convaincu de la nécessité de vaincre Batista par les armes… La première stratégie révolutionnaire avait été conçue comme un mouvement de masse, mobilisé au départ sur des mots d’ordre constitutionnels. » Mais, à la fin, dit-il, « nous avons découvert que les dirigeants hostiles à Batista étaient tous des gens incapables et menteurs, et nous avons décidé d’organiser les choses selon notre plan ».
C’est lors d’une autre réunion, le 1 er mai 1952 au cimetière Colón, que Fidel fait sa première rencontre capitale. Il se voit présenter Abel Santamaría, un sympathisant orthodoxe de vingt-quatre ans qui, tout en achevant ses études, est comptable à la société Pontiac. Abel sera l’adjoint de Fidel lors de la Moncada. C’est le fils d’un propriétaire d’une petite raffinerie de sucre. Il avait vivement apprécié la précédente « sortie » de Fidel au cimetière Colón, appelant à « chasser » Batista. Celui qui met les deux
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