Fidel Castro une vie
Castro, Armando Hart ou Vilma Espín, se retrouvent ainsi dans un MNR fondé par un ancien de 1933, García Bárcena. Un économiste proche des orthodoxes, Justo Carillo, crée une « Action libératrice » qui ne percera pas. Pour les
auténticos
, c’est un ancien ministre de Prío, Aureliano Sanchez Arango, qui, avec un groupe dénommé à ses initiales, l’AAA, mènera l’action.
Que font les communistes ? Que fait l’Église catholique ? Ce que font souvent, en ce cas, les sociétés enracinées : la tête proteste mais se courbe, pour laisser passer la tornade. Et, dans le meilleur des cas, des gens agissent à la base avec l’assentiment tacite de leur hiérarchie. L’Église, il est vrai, n’a guère de soutien populaire dans une île où la population noire est davantage attirée par le
nañiguismo
, forme locale du vaudou. La protestation contre le
golpe
de Batista est plus nette au PSP, mais l’action de ses membres sera peu effective. Le syndicalisme n’estpas non plus à la pointe de la lutte. Le secteur capital du sucre appelle ses membres à « maintenir des relations cordiales » avec Batista. L’attentisme prévaut.
C’est à l’université qu’a lieu la première manifestation, dès le matin du 10 mars. Raúl Castro en est. Depuis 1950, il s’était beaucoup remué sur le campus. Son chemin de Damas a été l’hypothèse, agitée par le président Prío, que Cuba puisse envoyer un bataillon en Corée aux côtés des Américains. Déjà proche des Jeunesses communistes, il y adhérera en 1953.
Fidel n’a pas une seconde d’hésitation. Le combat contre Batista, c’est le sien. Il s’y jette à la minute même, ce matin du 10 mars 1952 où il devient évident que le
golpe
a mis cul par-dessus tête la démocratie des
auténticos
. Castro a attaqué plusieurs fois l’ex-président dans ses discours, notamment sur son enrichissement durant son passage au pouvoir. En outre, il l’a probablement rencontré. L’épisode n’est confirmé que par des témoins peu favorables à Fidel – mais nombreux. Chacun des deux hommes, à vrai dire, pouvait avoir l’envie de jauger l’autre en cet automne incertain de 1951. Et le propre beau-frère de Fidel, Rafael Díaz, originaire de Banes comme le général, n’était-il pas devenu le chef des Jeunesses batistiennes – un entremetteur idéal… L’ex-président aurait reçu Castro dans le luxe ostentatoire de sa propriété de Kuquine, près de La Havane. On peut imaginer que Batista se montre un peu condescendant envers ce cadet, ce qui ne peut pas être du goût de l’intéressé. Dans ses mémoires, Batista raconte que la conversation est demeurée au niveau des généralités, car il n’entendait pas se commettre avec un homme ayant une réputation de gangster. Autre version : Fidel aurait dit à Batista que, s’il était rentré à Cuba avec des projets de coup d’État, il pouvait compter sur lui – Tad Szulc, qui rapporte le propos, suggère que ce pouvait être là une manière de prêcher le faux pour savoir le vrai. L’entretien tourne court.
Après le 10 mars, Fidel ne peut que choisir la lutte à outrance contre Batista. Leurs visions d’avenir s’affrontent : pas de place pour un agitateur dans le plan de carrière somme toute popote de l’ex-sergent ; et celui-ci bouleverse les projets parlementaires du jeune avocat. D’évidence, le nouveau maître de Cuba n’étaitpas rentré de Floride pour faire de la peine aux Américains – un aspect du programme détestable aux yeux de Castro.
Le 10 mars, Fidel va donc de planque en planque. La police échoue ainsi à arrêter celui qui, en sa qualité de chef de la fraction la plus radicale des Jeunes orthodoxes, l’ARO, est un possible organisateur de résistance. Dans la maison d’un sympathisant, Castro rédige un manifeste ferme mais sans violence : « Il était bon de chasser un gouvernement de malhonnêtes et d’assassins, y lit-on. C’est ce que nous tentions de faire par la voie civile, avec l’appui de l’opinion et l’aide de la masse des citoyens. Mais quel droit avez-vous de le remplacer au nom des baïonnettes ? Encore les bottes ! » Fidel poursuit : « Votre coup est injustifiable. Il n’est fondé sur nulle raison morale, aucune doctrine sociale ou politique. Il n’a pour seule raison d’être que la force. » L’accusation n’est pas que Batista ait fait un
golpe
, c’est que ce coup d’État ne soit que l’expression de la force
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