Fidel Castro une vie
hommes en contact, c’est Jesús Montané. Lui aussi travaille dans une société automobile américaine, la General Motors ; il a quelques activités syndicales, et aussi des sympathies orthodoxes. Castro l’a connu peu avant le
golpe
alors qu’il échangeait sa guimbarde contre une voiture plus alerte.
Santamaría amène sa sœur, qui milite elle aussi contre Batista. Haydée présente son fiancé, Boris. C’est un peu ainsi que le Christ, selon les Écritures, rassembla ses premiers disciples… Santamaría et Montané éditent une feuille intitulée
Ce sont les mêmes
. Ils y rappellent, pour les plus jeunes ou les oublieux, que le Batista qui vient d’interrompre le processus électoral avait déjà, en 1934, écarté ce Directoire étudiant qui voulait rénover Cuba. Ces quatre jeunes gens de minuscule bourgeoisie, à l’avenir professionnel restreint et à la formation modeste, mais toniques et impatients des contraintes d’une dictature, réunis autour de la confection d’un bulletin ronéotypé à cinq cents exemplaires : voici ce que Fidel accueille d’abord en partage. C’est la flammèche qui embrasera l’île.
Un peu plus âgé qu’eux, Castro leur en impose : par son énergie, son audace, son parler haut et clair, son expérience où l’aventure, mythifiée, de Bogota joue un rôle, et surtout par ce je-ne-sais-quoi dénommé le « charisme » : quelque chose d’un peu plus ou un peu moins qu’humain qui attire les êtres ordinaires. La première chose que fait Castro est de changer le titre de la publication, à ses yeux peu mobilisateur. Le 1 er juin sort donc le premier numéro de
L’Accusateur
. Fidel y écrit sous le pseudonyme d’Alejandro – son second prénom, qui allait devenir son nom de guerre. Le ton y est, cette fois, virulent. Il tutoie le dictateur : « Tu parles de progrès, et pourtant tu te ranges aux côtés des grands intérêts cubains et étrangers… Tu es un chien de garde de l’impérialisme. » La carrière de
L’Accusateur
se termine au troisième numéro : en août, la police militaire (SIM) fait irruption dans le local, brise la Ronéo et arrête Abel et Montané ! Ils seront vite relâchés sur intervention de… l’avocat Fidel Castro.
Une nouvelle venue a, elle aussi, été brièvement détenue lors de l’opération de police contre
L’Accusateur
: Melba Hernández. C’est la quatrième recrue de première grandeur des débuts héroïques. Âgée de trente-trois ans, orthodoxe de sympathie, elle est avocate – symbole d’un assez rapide élargissement de la base socio-professionnelle de Castro. Melba sera le « quatrième homme » du premier noyau dirigeant de ce que ses membres appelleront entre eux « le Mouvement ». Deux femmes, sur quatre chefs – même si Fidel est, certes, plus important que les autres : ce bel homme sans complexe de don Juan attire l’autre sexe. Melba, bien plus tard, racontera : « Quand je lui ai donné la main, je me suis sentie en sécurité. J’ai perçu qu’il avait trouvé la voie. Quand ce jeune homme commençait à parler, je ne pouvais plus rien faire d’autre que l’écouter. » En somme, Fidel détourne au profit de la politique les pulsions personnelles qu’il suscite. Pas toutes, cependant : une « bourgeoise », Natalia dite « Naty » Revuelta, qui avait un temps offert à Fidel l’asile de son foyer, deviendra sa maîtresse. Elle aura de lui, plus tard, une fille, Alina, qui donnera du fil à tordre à son géniteur.
La mésaventure de
L’Accusateur
et une interpellation fortuite, trois semaines plus tard, convainquent Castro qu’une nouvelle phase commence. Il ne s’agit plus pour lui de se faire connaître à tout prix : les temps ne s’y prêtent plus. L’urgence est d’organiser le groupe rassemblé autour de lui. Début septembre, une réunion clandestine a lieu dans la vieille Havane. Outre le « directoire » (Fidel, Abel, Haydée, Melba), deux comités sont créés, l’un politique, l’autre militaire. Chacun comporte cinq membres, et l’un et l’autre sont dirigés par Fidel et Abel. Le mouvement sera ainsi structuré en cellules ne communiquant jamais entre elles, mais « avec les seuls cadres dirigeants par le biais de leur chef, via un intermédiaire ». Fidel a assuré à
Frei
Betto qu’il a « contacté personnellement un par un » chacun des mille deux cents membres que, dit-il, comptait le Mouvementvers la mi-1953. Fidel est évidemment le chef mais Abel
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