Fidel Castro une vie
seul. » Ou plutôt, précise-t-il : « Souris à tous, défends notre point de vue…, sans blesser… Nous aurons tout le temps d’écraser les cafards… Accepte toutes les aides, mais ne fais confiance à personne. » On voit s’affiner un concept machiavélien : l’utilisation sans scrupule d’autrui au service d’une fin.
Le premier objectif est donc d’organiser les « plus de quatre-vingts » survivants du 26 juillet en un « faisceau indissoluble ». Ce « mouvement doit avoir la force nécessaire pour s’emparer du pouvoir, par des voies pacifistes ou révolutionnaires ». Fidel poursuit : « La question de la direction est essentielle… On ne peut organiser un mouvement où chacun croit avoir le droit de faire des déclarations sans consulter quiconque… L’organisation et l’appareil doivent être si puissants qu’ils détruisent quiconque essaie de créer des scissions, des clans, ou de se soulever. »
L’objectif de cette unification n’est évidemment pas d’aboutir à on ne sait quelle fédération d’appareils. Il s’agit de rassembler le peuple sur un objectif : l’éviction de Batista d’abord, la révolution sociale ensuite. Fidel emploie les termes suivants : « Révolutionner le pays de pied en cap. » « Notre moment arrive, s’écrie-t-il. Ceux qui nous voient comme un groupuscule vont être tristes. »
Le destin, c’est galvaudé, ça se travaille ! Aussi la première mission que reçoivent les militants, via Melba, c’est d’organiser un « Mouvement pour l’amnistie ». Le moment est optimal : Batista vient d’être « élu » président, il prendra ses fonctions le 20 février 1955. Au demeurant, il a déjà accordé une amnistie en 1954, n’en excluant que les «
Moncadistas
». Et, dira Fidel à
Frei
Betto, « à Cuba on ne concevait pas d’élections sans amnistie ». La campagne est lancée début 1955. Un « comité de mères de prisonniers » est mis en place. Beaucoup de femmes qu’on allait revoir dans les rangs castristes y font leurs premières armes – telle Celia Sánchez qui sera, vingt années durant, la femme la plus proche de Fidel. La campagne lancée, la presse « l’appuie superbement », note Castro. Les politiciens y joignent leur voix avant la passation des pouvoirs de Batista dictateur à Batista président. Le général transmet la propositionà « son » Parlement le 10 mars 1955, troisième anniversaire du coup d’État. La mesure, mégote-t-il, ne s’appliquera aux
moncadistas
que s’ils jurent de renoncer aux armes. Castro refuse : « Nous ne troquerons pas un iota de notre honneur contre notre liberté. » Des manifestations éclatent à La Havane. Début mai, le Congrès vote et Batista signe. La libération des rebelles survient le 15 mai.
Le
Piñero
ramène Fidel et ses compagnons à Batabano, côte Sud de Cuba. Selon Melba, le Mouvement du 26 juillet (« M-26-7 ») est né durant la traversée. Les compères, accueillis par un fort groupe de sympathisants, prennent le train pour La Havane. Fidel rédige une déclaration musclée : « Les despotes disparaissent, les peuples demeurent. » Il déclare par ailleurs : « Je n’ai pas l’intention de créer un nouveau parti. » Ce qui n’est ni exact ni faux : le Mouvement, en effet, n’est pas un parti. Il continuera d’avoir des rapports avec les orthodoxes… mais pour y puiser des hommes. Fidel, qui a démenti les rumeurs d’un éventuel exil, rencontre les leaders
ortodoxos
, Agramonte et Raúl Chibás. Le 20 mai, un meeting a lieu à l’université. Le chef des
Moncadistas
y est accueilli avec chaleur, alors que se profilent les élections pour la présidence de la FEU. Pour la gauche se présente un catholique charismatique et hautement moral : José Antonio Echeverría. Élu, il deviendra un héros, mais vaincu, de la lutte contre Batista.
Fidel ne rend pas visite à ses parents. Son père, qu’il n’a pas revu depuis deux ans, mourra l’année suivante. Raúl, lui, va passer quelques jours à la ferme. Mais si Fidel ne va pas à Santiago, le meilleur de Santiago vient à lui : de jeunes anciens du MNR de García Bárcena, qui ont fondé une cellule, l’Action révolutionnaire de l’Oriente (ARO) – sans doute ceux qui ont scandé le nom de Fidel lors du meeting de Grau, poussant celui-ci à parler pour la première fois d’amnistie. Deux d’entre eux, personnalités rayonnantes, offrent leurs services : Frank País, un instituteur de vingt ans, fils
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