Fidel Castro une vie
Constitution, faute « d’organismes élus par le peuple, le mouvement révolutionnaire, incarnation momentanée de cette souveraineté et seule source du pouvoir légitime, aurait assumé tous les pouvoirs qui lui sont inhérents, excepté celui de modifier la Constitution ». Nombre d’opposants à Batista ont négligé de lire ce paragraphe avant d’appuyer Castro. Pour eux, Fidel annonçait le retour à la Constitution de 1940, avec des élections régulières et la possibilité d’alternance qu’elles supposent. Or, Castro ne précisait ni combien de temps durerait ce « en attendant que le peuple la modifie ou la change », ni combien d’années sonMouvement demeurerait « incarnation momentanée » de la souveraineté du peuple !
Les autres lois annoncées concernent la transmission de la propriété de la terre à tous les fermiers, métayers, tenanciers précaires cultivant moins de cinq
caballerias
(soixante-sept hectares) ; un droit reconnu aux ouvriers et employés à 30 % des profits des grandes entreprises ; la concession à tous les fermiers de 55 % de la canne récoltée ; la saisie des biens des concussionnaires. Parmi les autres mesures, il y aurait « la nationalisation des trusts de la compagnie d’électricité et de celle des téléphones » – deux monopoles américains. Fidel énumère ensuite « six problèmes » auxquels la Révolution aurait remédié : la terre mal répartie, l’industrialisation insuffisante, le logement, le chômage, l’éducation et la santé.
Il voudrait encore distribuer à cent mille petits fermiers les terres dont ils sont locataires, assécher des marais, reboiser des forêts, créer des coopératives agricoles, réduire les loyers de moitié, construire des immeubles à plusieurs étages, électrifier toute l’île grâce à l’énergie atomique. Où les révolutionnaires auraient-ils trouvé l’argent ? « Il y en a suffisamment à Cuba le jour où on ne volera plus… Le jour où l’on mobilisera les immenses ressources du pays et… cessera d’acheter des tanks, des bombardiers, des canons pour défendre cette île sans frontières. »
« Mais laissez-moi vous conter une histoire, poursuit Fidel. Il était une fois une République, avec sa Constitution, ses lois, ses libertés, son président, son Congrès, ses tribunaux. Tout le monde pouvait se réunir, s’associer, parler et écrire avec la plus entière liberté. » Aura-t-on reconnu en cette idylle la Cuba du temps de Grau et Prío ? Certes, « le peuple n’était pas satisfait de son gouvernement ; mais il pouvait en changer et il s’apprêtait à le faire. On respectait l’opinion publique. Il y avait des partis politiques, des discussions, des réunions ; le peuple vivait tout cela avec enthousiasme. Pauvre peuple ! Un matin, la cité s’éveilla en tremblant. Sous le couvert de la nuit, les spectres du passé avaient noué leur conjuration. Tandis que les habitants reposaient, ils avaient refermé leurs serres redoutables… Des bruits résonnaient, grincement de faux, armes de mort, bruits de bottes ». On l’a compris, à ce passage qui est un beaumoment de la langue castillane, « Batista venait de perpétrer le crime à quoi nul ne s’attendait ».
Mais « le droit de résistance établi par l’article 40 de notre Constitution est toujours en vigueur ». Fidel, alors, convoque en défense de ce droit sacré l’histoire « depuis la plus haute antiquité » : Thomas d’Aquin, Luther, Calvin, Rousseau. Et les « héros et martyrs » de Cuba, Martí surtout, auteur de cette pensée rappelée en cette année de son centenaire : « Lorsqu’il y a beaucoup d’hommes sans honneur, il y en a toujours d’autres qui portent en eux l’honneur de beaucoup. » Castro peut alors entamer sa péroraison. Il ne demande pas son acquittement puisque ses compagnons souffrent déjà « dans la prison ignominieuse de l’île des Pins ». Il remercie ses juges de l’avoir laissé s’exprimer. Il rappelle que cette cour a des éléments pour ouvrir un procès sur « les soixante-dix assassinats » de ses camarades. Fidel anticipe une prison très dure. « Condamnez-moi, conclut-il, peu importe. L’histoire m’absoudra. » Il a parlé deux heures. Quelques minutes suffisent aux juges pour décider sans appel : quinze ans de prison.
Ce texte grandiose et ampoulé, roublard et généreux, a suscité mainte exégèse. Œuvre circonstancielle ? « Monument de l’esprit jésuite » ? Tout
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