Fidel Castro une vie
victoire : il y a assez de prisonniers pour accréditer cela. Rien n’est dit, pourtant, du sort de Fidel, qui restera l’objet de spéculations trois mois durant. Quant à lui, le chef des rebelles avait informé ses hommes que le premier QG de la guérilla serait aux Cinq Palmiers, la ferme d’un certain Mongo Pérez. C’est le frère d’une sorte de bandit d’honneur façon Pancho Villa, prénommé Crescencio, que Celia Sánchez avait gagné à la cause du M-26. La ferme est située à une soixantaine de kilomètres d’Alegría de Pío, assez avant dans la Sierra. Après deux nuits de marche, consécutives à cinq journées d’immobilité dues à l’activité des patrouilles, Fidel et ses deux compagnons arrivent dans la montagne. Ce même 12 décembre, ils établissent le contact avec des fermiers amis. Parmi eux figure un certain Guillermo García – autre recrue de Celia – que l’épopée retient être « le premier paysan enrôlé dans l’armée rebelle ». Il en deviendra l’un des quatre grands commandants.
Décembre 1956, cependant, n’est pas le juillet 1953 de la Moncada, car la pâte humaine a été travaillée. Le M-26 a planté des jalons dans ce micro-monde de la Sierra Maestra, théâtre de la future guérilla. L’activiste de cette réussite a été Celia Sánchez. Elle est la fille d’un médecin de l’Oriente qui a exercé son art dans une de ces raffineries de la plaine où les rebelles viennent de débarquer, y acquérant un vrai sens social dontses enfants ont hérité. Lorsqu’elle découvre Castro, Celia a trente-cinq ans, cinq de plus que lui, et ses énergies sont sous-employées. Ce bloc de volonté maigre et brun va se consacrer jusqu’à épuisement à la cause de son grand homme.
La Maestra est un massif de cent cinquante kilomètres de long sur cinquante de large, parallèle à la côte la plus méridionale de l’île. Il surgit d’une fosse marine pour culminer à deux mille mètres au pic Turquino. C’est une montagne percée de vallées étroites et très pentues, revêtue d’une végétation dense où alternent épineux et feuillus, selon l’exposition aux précipitations intertropicales. Un lieu hostile. La relative densité de peuplement ne s’y explique que par la pression démographique sur les terres basses, déjà accaparées par l’agriculture, ainsi que par une histoire tourmentée, celle des guerres d’indépendance du XIX e siècle qui ont poussé des familles vers la sécurité de ces écarts. Mais au prix de la précarité : aucun des naturels n’a de titre de propriété certain. « Où que nous allions, nous trouvions des paysans en procès », dira Castro. Tous vivent le dénuement qu’implique l’autarcie. Mais aussi une dépendance vis-à-vis d’intermédiaires, grossistes venant recueillir les récoltes de café, les sacs de charbon de bois, du bétail. La vie n’y est possible qu’au prix d’une transhumance humaine entre la Sierra et les plaines environnantes où pousse la canne à sucre et où l’on a besoin d’une main-d’œuvre saisonnière pour la récolte. La guérilla trouve là un petit peuple de prolétaires – avec ce surcroît de fierté que donne un pan d’indépendance maintenue. Au lieu de se comporter en pays conquis, comme font les gouvernementaux, les rebelles auront scrupule, chaque fois que possible, de payer leur nourriture : volailles, œufs, porcs, haricots… La tentation de se comporter à la hussarde envers les rares beautés locales est aussi taxée à son prix : une recrue qui, se faisant passer pour le médecin Guevara, visitait les belles un peu trop avant, sera fusillée. Ainsi la guérilla trouvera-t-elle, malgré la peur de la répression, une assistance multiforme chez les paysans : le vivre et le couvert, mais aussi des guides, puis des soldats. Ceux qui ont fait ce choix seront distingués. La Révolution, en outre, accordera, après la victoire, tous ses soins au développement de cette région. En attendant, les rebelles serendront utiles, aidant par exemple, à leurs moments perdus, à la récolte du café.
Fidel, conduit par Guillermo García, arrive le 16 décembre à la ferme de Mongo Pérez. Le chef et ses deux compagnons ont mis quinze jours à abattre ces cent kilomètres, depuis la mer, qu’ils auraient parcourus en deux jours en camion. Mais les bonnes nouvelles vont désormais pleuvoir. Raúl arrive le 18 avec cinq compagnons. « Combien de fusils as-tu ? », lui demande
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