Fidel Castro une vie
équipe, seuls quatre ne sont pas cubains : Guevara, un Italien nommé Gino Done, un Mexicain et le pilote, un Dominicain surnommé « Pichirilo », ancien de Cayo Confite en 1947. L’Argentin aurait bien voulu amener El Patojo, son ami guatémaltèque, mais Fidel a refusé, arguant que l’expédition ne devait pas être « une mosaïque de nationalités ». Che en voudra un peu à Fidel, ce dont témoigne le fait qu’il dédiera à El Patojo l’édition des articles composant ses
Souvenirs de la
guerre révolutionnaire
.
L’histoire n’a pas retenu les quatre-vingt-deux noms. Certains, comme il est ordinaire, se comporteront sans gloire. Une vingtaine seront faits prisonniers ; vingt-quatre mourront peuaprès l’arrivée ; et vingt-trois seulement poursuivront le combat avec Fidel. Hormis Miret, détenu au Mexique, et ceux qui travaillent pour la cause à Cuba (Hart, País), tous les « grands » sont à bord. Guevara, Raúl, Faustino Pérez et Juan Manuel Márquez sont les lieutenants de Castro. Pas de femme, cependant, cette fois : les inconvénients de la promiscuité du bord, sans doute.
Tout se passe mal. Le mauvais temps n’arrange rien. Le
Granma
, trop chargé, file à sept nœuds au lieu des dix prévus. On force les machines, mais l’un des deux moteurs diesel tombe en panne. On répare. Une avarie se déclare, on embarque. Les pompes marchent mal. Il faut écluser au seau. Lorsque le beau temps revient, les hommes ont faim ; on constate qu’il n’y a pas assez de vivres pour un voyage plus long que prévu de moitié.
La route choisie a été de tirer droit vers la pointe du Yucatán, d’amorcer la traversée du détroit homonyme puis de piquer sud-est, au vent des Caymans britanniques. Ainsi, même si le
Granma
est repéré d’avion, sa route n’apparaîtra-t-elle pas suspecte puisqu’elle est parallèle, à distance, de la côte méridionale de Cuba. Et, au dernier moment, on mettra le cap au nord-est, vers la pointe occidentale de la côte de l’Oriente. Mais on a pris deux jours de retard. Aussi l’insurrection du M-26 à Santiago, prévue pour coïncider avec le débarquement et le faciliter, démarre-t-elle trop tôt.
Les effectifs mobilisés pour ce soulèvement sont modestes : moins de deux cents hommes. Mais ils sont très organisés. En uniforme et arborant le brassard rouge et noir du M-26, ils attaquent la caserne de la police. Mais la partie est trop forte. Ils laissent sur le terrain, mort, Pepito Tey, adjoint du chef Frank País. Les rebelles réussissent, en revanche, à investir la police maritime et à y prendre des armes. Il y aura une douzaine de morts chez les assaillants, la plupart fusillés sur place. D’autres actions, modestes, ont également lieu à Holguín, Cienfuegos et Santa Clara, dans le centre et l’est de l’île. Ce soulèvement, qui a tenu les gouvernementaux trente-six heures en haleine, confirme les virtualités antibatistiennes de Santiago. Parmi les futurs cadres de la guerre civile, on trouve ainsi une jeune femme qui a étudié la chimie au Massachusetts Institute of Technology, Vilma Espín. La future épouse de Raúl est trèsreprésentative de cette bourgeoisie qui dérive vers le castrisme. Batista décrète l’état d’urgence – sauf pour La Havane, restée calme. Il renforce sa présence militaire dans l’Oriente où, il le sait d’instinct historique, Castro abordera.
Le
Granma
est en vue du phare du cap Cruz à la première heure du dimanche 2 décembre 1956. Fidel fait mettre les expéditionnaires en uniforme. Il pressent qu’il n’y a personne pour l’attendre : Celia Sánchez, qui a mobilisé des camions le 30 novembre pour conduire les quatre-vingt-deux hommes vers la montagne, ne peut avoir poursuivi sa veille après que les troupes ont été mises en alerte, comme il l’entend à la radio du bord.
À 4 h 30 du matin, ce 2 décembre, tout le monde est projeté vers l’avant du navire. Celui-ci vient de s’immobiliser sur un haut-fond. Fidel redoute un instant que ce soit un de ces
cayos
qui ourlent la côte : être « au sec », sans plus pouvoir avancer ou reculer, serait ridicule. Mais non : trompé par des cartes inexactes, Pino a conduit le navire à un mille au sud de l’endroit prévu. Au lieu d’aborder dans une baie sableuse, Las Coloradas, le
Granma
a fini dans la mangrove de Los Cayuelos : un marais maritime où, en pleine vase, pousse une forêt basse aux racines exubérantes. « Un débarquement ? Ce
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