Fiora et le roi de France
vert de ses collines piquées de
villas blanches, de noirs cyprès et de la mousse argentée des oliviers, à
quelque coffre ouvert sur le trésor d’un empereur.
Dès le
matin, la fête s’empara de la ville. Pas une maison, jusqu’aux plus pauvres, qui
ne se fût ornée de tout ce qu’elle possédait, même de simples bouquets de
feuillages ou d’une guirlande d’églantines entourant une effigie du saint.
Au
palais Albizzi, Chiara avait bien fait les choses : des fenêtres du
dernier étage tombaient de grandes pièces de cendal rouge et blanc séparées par
de larges galons d’or et, au rez-de-chaussée, de part et d’autre de la porte,
des tableaux religieux dont les personnages montraient une fierté et un faste
dignes d’une cour royale représentant pourtant des scènes de la vie de saint
Jean, voisinaient avec des statuettes d’ivoire à l’effigie des saints
protecteurs de la famille, censés rendre hommage au héros du jour. Le tout
enguirlandé de roses et de jasmins répandant une odeur exquise et grimpant
jusqu’au grand toit plat où la bannière des Albizzi flottait par-dessus les
tuiles rondes d’un rose délicat. C’était superbe.
Aussi
fut-ce avec quelque surprise que Chiara, descendue à l’aube dans la rue pour
donner à l’ensemble un dernier coup d’œil, vit son oncle, vêtu d’un sarrau de
grosse toile verte, un vieux chapeau sur la tête et nanti de son attirail pour
la chasse aux papillons, franchir le seuil de la maison en tirant après lui sa
mule. Elle se jeta littéralement sur lui :
– Où
prétends-tu aller ainsi ?
– Au
Mugello. Regarde ce ciel ! C’est un jour idéal pour les papillons. Je suis
sûr de faire une excellente récolte et...
Le
prenant par le bras, elle le fit pivoter pour lui montrer la façade de la
maison :
– Regarde
un peu ! Cela ne te dit rien ?
– Si,
mon enfant : c’est très joli... Attendrais-tu des invités ?
– Mais
enfin, mon oncle, c’est la Saint-Jean et tu dois prendre la place qui est la
tienne aux cérémonies !
– Tu
crois ? La Saint-Jean... Et, tout à coup, il réalisa :
– Ah !
La Saint-Jean ! Où avais-je la tête, mon Dieu ? C’est vrai, je
dois... Tu es sûre qu’il faut que j’y aille ?
– Tout
à fait sûre, oncle Lodovico ! Tu es l’un des premiers de cette ville. Ne
pourrais-tu t’en souvenir de temps en temps ?
– Oui...
oui, bien sûr ! Mais il est tout de même dommage de sacrifier une si belle
journée pour une fête ! Eh bien, allons nous attifer !
Et il
rentra au palais, suivi de Chiara qui jugea plus prudent de l’accompagner jusqu’à
son appartement, de crainte de le voir filer par les cuisines. Mais elle ne
pouvait s’empêcher de rire en rejoignant dans leur chambre Fiora que Khatoun
achevait d’habiller. Le rire s’arrêta net quand elle découvrit son amie :
– Par
tous les saints du Paradis ! Que tu es belle ! Rien de plus simple,
pourtant, que cette grande robe d’épais taffetas d’un beau rouge profond qui
bruissait à chaque geste et qui, sans le décolleté d’où s’élançait le long cou
mince de la jeune femme, eût fait penser à une simarre cardinalice. Pas une
broderie, pas un ornement sur cette robe à la ligne pure dont la seule audace
venait des manches amples et bouffantes arrêtées net sur la rondeur de l’épaule
à demi découverte. Pas de bijoux non plus, sinon un seul : un rubis porté
en ferronnière au milieu du front. La masse des cheveux noirs et lustrés était
enfermée dans une longue résille d’or qui descendait plus bas que la taille de
la jeune femme.
A
genoux sur le tapis entre une boîte d’épingles et un nécessaire à couture,
Khatoun contemplait ce qui était un peu son œuvre :
– Le
Lys rouge de Florence ! déclara-t-elle ravie.
– Tu
as raison, soupira Chiara, et le peuple va penser la même chose. Que
cherches-tu à démontrer, Fiora ? Que la ville appartient à Lorenzo comme
tu lui appartiens ?
– Oui
et non. C’est l’ambassadeur français que je veux surprendre. Il a trop de
finesse d’esprit pour ne pas comprendre ce que signifie cette robe rouge :
je suis fille de Florence et j’entends le rester.
– Ah !
... Ainsi, tu as pris ta décision ?
– Oui.
Commynes est l’homme capable de faire entendre au roi les raisons qui sont les
miennes. Et nous pourrons voir, avec lui, comment faire venir mon fils et
Léonarde dans les meilleures conditions. Je le dirai ce
Weitere Kostenlose Bücher