Fiora et le roi de France
qu’après tant d’épreuves son amie pût trouver un
semblant de bonheur. Cependant, il avait trop de finesse pour ne pas sentir le
côté précaire de ce roman passionné.
– Deux
solitaires qu’un naufrage a jetés dans la même barque ! dit-il un jour à
Démétrios. Ils y ont trouvé des vivres et, parce que la mer s’est calmée, parce
que leur ciel est bleu, ils pensent atteindre à quelque rivage enchanté pour y
vivre dans l’amour éternel et l’éternelle jeunesse.
– Penses-tu
vraiment que leur amour soit menacé ?
– Il
ne peut pas ne pas l’être ; ils sont trop différents. Fiora est trop
noble, trop fière pour ce rôle de favorite, publiquement déclarée que Lorenzo
lui impose. Et puis... elle ne l’aime pas vraiment. Si ses yeux ne brillent pas
quand elle entend prononcer son nom, c’est qu’il ne résonne pas dans son cœur.
– Peut-être
résonnera-t-il un jour ? Il arrive qu’une passion charnelle se transforme
en des sentiments profonds.
– Emplis
de sable un tambour et frappe dessus ! Il ne vibrera jamais. Le cœur de
Fiora est ce tambour et le souvenir d’un autre y tient toute la place.
– Celui-là
est mort.
– Peut-être,
mais cela ne change rien. Lorenzo, même s’il ne s’en doute pas, ne fait qu’aider
Fiora à dépenser agréablement les jours de sa vie en attendant qu’au bout du
chemin elle retrouve, pour l’éternité, la main qu’elle avait choisie...
Depuis
ce moment, Démétrios voua au jeune infirme une amitié qui ressemblait à de l’affection.
Une fois guéries les blessures, s’il ne pouvait plus grand-chose pour ce corps
disgracié, il se promit d’aider à s’épanouir une intelligence qui avait conquis
son respect.
Il
repensait à cette conversation tandis que tous trois descendaient lentement les
marches larges et douces qui reliaient les différentes terrasses des jardins.
Fiora semblait heureuse, pourtant. Soutenant le bras gauche de Carlo, elle
bavardait gaiement, expliquant les aménagements qu’elle comptait apporter à sa
maison et aux alentours. Son fin profil serti d’un léger voile bleu tendre se
détachait avec la netteté d’une ancienne ciselure sur les lointains mauves des
collines, et le Grec s’interrogeait : Carlo avait-il raison de la croire
toujours habitée par l’amour d’autrefois ? La jeune femme semblait
tellement vivre l’heure présente ! C’était comme si elle avait oublié ceux
dont elle était éloignée depuis des mois : sa maison de Touraine, sa
vieille Léonarde, et surtout son fils. Celle qu’il se plaisait jadis en secret
à nommer sa fille était-elle vraiment devenue cette créature légère, uniquement
soucieuse de ses nuits ardentes avec Lorenzo et n’attendant rien d’autre de la
vie ?
– Je
vieillis, pensa Démétrios avec quelque tristesse, je ne suis plus capable de
sonder son cœur et, surtout, les yeux de mon esprit ont perdu leur pouvoir de
percer les brumes de l’avenir. Pourtant... Un bruit de pas rapides sur le
gravier du jardin le tira de sa méditation. Descendant l’allée où des orangers
en pots, récemment sortis de la salle basse de la villa où ils avaient passé l’hiver,
alternaient avec des lauriers fusant de hautes jarres de terre rouge, Esteban
qui arrivait de la ville accourait à toutes jambes.
– J’ai
des nouvelles ! cria-t-il du plus loin qu’il aperçut les promeneurs. Le
roi de France envoie un ambassadeur à Monseigneur Lorenzo !
Il
était essoufflé et les derniers mots se perdirent un peu dans le vent du soir,
mais Fiora en avait entendu le principal :
– Est-ce
bon ou mauvais ? demanda-t-elle sans songer à dissimuler une inquiétude.
– Sûrement
très bon ! Et meilleur encore puisqu’il s’agit d’un de vos amis !
– Un
ami ? Qui donc ? Parlez, Esteban, vous nous faites mourir !
– Messire
Philippe de Commynes, donna Fiora ! Vous ne direz pas que ce n’est pas un
ami ! Il sera là pour la Saint-Jean. Monseigneur Lorenzo, que j’ai vu il y
a une heure à la Badia, en a reçu l’avis par un chevaucheur rapide au début de
l’après-midi.
– Qui
est ce Philippe de Commynes ? demanda Carlo qui s’intéressait chaque jour
davantage à la vie extérieure.
– Le
meilleur conseiller du roi Louis, en dépit de son jeune âge, car il n’a pas
atteint la trentaine. Longtemps aux côtés du défunt duc de Bourgogne, il l’a
abandonné en comprenant quelle politique sans nuances il entendait
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